Réalisée par Ipsos, cette enquête repose sur 32 entretiens d’environ une heure avec des personnes qui ne fréquentent pas les bibliothèques, réalisés dans plusieurs villes de France, dont Caen, Limoges, Dijon et plusieurs communes de Seine-Saint-Denis. "Contrairement à ce qu’on pouvait craindre, les gens avaient beaucoup de choses à dire sur ces lieux que, pourtant, ils ne fréquentent pas", a souligné Régis Suteau, directeur des études qualitatives chez Ipsos.
Trois profils de non-usagers
Cette enquête a permis à Ipsos de définir trois profils de "non-usagers" et "abandonnistes", c'est à dire d'anciens usagers qui ont cessé de fréquenter les bibliothèques. Ipsos a appelé "les défenseurs", les personnes appartenant au premier profil. Généralement issus de la catégorie des CSP+, ces personnes ont un rapport important à la lecture, sans être de gros lecteurs, et achètent volontiers les livres qu’ils lisent. Ils considèrent que les bibliothèques sont utiles essentiellement pour les gros lecteurs ou les gens qui n’ont pas les moyens d’acheter les ouvrages.
Le 2e profil est celui des "zappeurs". Ils consacrent leur temps de loisirs aux réseaux sociaux et sur les plateformes de diffusion de films et musique et déclarent ne pas avoir le temps de se rendre en bibliothèque. La lecture est pour eux une activité occasionnelle.
Le 3e profil est désigné par le terme des "outsiders". Constitués par les faibles lecteurs, qui ont souvent de mauvais souvenirs des bibliothèques, liés à une expérience scolaire peu positive, ils considèrent que la bibliothèque n’est pas pour eux et n’ont pas envie de s’y rendre.
Trois images
Les habitants consultés par Ipsos ont en tête trois images de bibliothèque : le grand établissement de centre-ville, souvent un bel édifice architectural, mais dans lequel ils n’ont pas envie de se rendre car ils l’imaginent comme un lieu austère, où le silence s’impose. La deuxième représentation concerne les médiathèques de taille intermédiaire, perçues comme assez laides et à l’architecture datée, qui servent essentiellement aux enfants. Viennent ensuite les petites bibliothèques, situées dans une salle de la mairie, dont on ne connaît ni les horaires ni les activités.
"Malgré ces représentations assez négatives, les personnes que nous avons interrogées pensent que les bibliothèques sont importantes pour leur mission de conservation des livres, pour leur valeur en tant que monument, et pour leur présence symbolique dans la ville, a expliqué Régis Suteau. La valeur des bibliothèques n’est pas remise en cause, mais elles ne donnent pas envie".
Ces représentations peu attractives semblent difficiles à battre en brèche. "Quand on leur demande ce qui pourrait les attirer en bibliothèque, les habitants interrogés n’ont aucune idée à proposer", a poursuivi le directeur des enquêtes qualité d’Ipsos.
L’offre de CD et de DVD, loin d’être attirante, renforce au contraire l’image dépassée des bibliothèques auprès de ce public, qui considère ces supports comme datés. "Les non-usagers ne voient pas les bibliothèques comme des lieux de rencontre et d’échange", a précisé Régis Suteau.
Un service utile
Cette enquête qualitative d’Ipsos, qui sera publiée dans les semaines à venir, constitue de 2e volet de la grande étude nationale entamée par le ministère de la Culture pour mieux comprendre les motivations des publics qui ne fréquentent pas les bibliothèques. Le premier volet, quantitatif, avait été présenté en juin 2018 à La Rochelle lors du congrès annuel de l’Association des bibliothécaires de France (ABF). Lors de la rencontre à Livre Paris, Jacques Bonneau, responsable du pôle grandes enquêtes de TMO régions, qui a conduit l’étude quantitative, en a rappelé les principaux enseignements.
En 2016, 40 % des Français interrogés se sont rendus au moins une fois en bibliothèque lors des 12 mois précédents, alors qu'ils n’étaient que 26 % en 1996. 16 % des non-usagers n’ont jamais fréquenté de bibliothèque de leur vie, tandis que 84 % sont d’anciens usagers.
67 % des sondés pensent que la bibliothèque est utile à tous, 24 % pensent qu’elle s’adresse à certaines personnes seulement, et 2 % la trouvent inutile. 34 % pensent qu’il est indispensable dans une ville d’avoir une bibliothèque, et 50 % estiment que c’est utile mais pas indispensable. "L’utilité de la bibliothèque n’est pas remise en cause par les non-usagers, a confirmé Jacques Bonneau. Ce dernier a cependant rappelé que seuls 3 % des personnes interrogées avaient déclaré pouvoir être intéressées dans le futur par les bibliothèques.
L'exemple de Grenoble
A Grenoble, l’enquête, constituée également d’un volet quantitatif et d’un volet qualitatif, menée en 2018 dans le réseau des bibliothèques municipales confirme à l’échelon local les tendances nationales. Isabelle Westeel, directrice de la Bibliothèque municipale de Grenoble, en a présenté les principaux résultats. Les usagers Grenoblois sont très fidèles et gros lecteurs. 44 % d’entre eux vont en bibliothèque plusieurs fois par mois (contre 21 % au niveau national). 33 % des Grenoblois ont fréquenté une bibliothèque dans l’année écoulée, contre 40 % au niveau national et 45 % dans les villes de 100 000 habitants et plus.
Concernant les non-usagers grenoblois, 86 % ne se sont jamais renseigné sur les bibliothèques, 84 % déclarent en avoir une mauvaise connaissance, et 43 % disent ne pas être intéressés. "Lors des focus groupes, les personnes ont exprimé leur envie que la bibliothèque soit très visible, qu'elle soit un lieu de rencontre, de partage et de découverte proposant beaucoup d’animations culturelles", a détaillé Isabelle Westeel.
"Il y a une méconnaissance importante de l’offre des bibliothèques, a conclu Françoise Legendre, inspectrice générale des bibliothèques, qui animait la rencontre. Il faudrait ouvrir un grand chantier de communication".