Les 170 places de la grande salle de la Maison de la poésie à Paris ont à peine suffi à contenir l’affluence aux Premiers états généraux du livre organisés le mardi 22 mai après-midi par le Conseil permanent des écrivains (CPE), sur le statut social des auteurs, bousculé par diverses réformes en cours, dont la mise en œuvre soulève incompréhensions et inquiétudes.
Il restait pourtant quelques chaises vides sur la scène, pour symboliser l’absence de divers représentants des pouvoirs publics (ministre de la Culture, Premier ministre, Président de la République, ministre de l’Economie et des Finances, ministre des Solidarités et de la Santé), ironiquement salués par Pascal Ory, président du CPE.
Un débat, trois parties
Très denses, les débats ont été répartis en trois parties, sur la nature des réformes fiscales et sociales en cours, les échéances précisément fixées en 2019, et la réflexion sur un éventuel nouveau régime social pour les auteurs. Pour rendre concrets ces échanges souvent très techniques, des auteurs ont expliqué leur quotidien et les problèmes matériels rencontrés dans leur vie de tous les jours, et exprimer cette lassitude du mépris dont ils ont le sentiment de faire l’objet dès qu’il s’agit d’évoquer ces questions sociales, alors qu’ils souhaitent juste une équité de traitement. Prix Goncourt en 1990 (Les champs d’honneur), Jean Rouaud, sans note mais avec son casque de cycliste à la main car il anticipait plus d’agitation, a très fermement exprimé cette colère, ce qui lui a valu une belle ovation.
Absences d'explication
Si Françoise Nyssen, ministre de la Culture, était absente pour cause de débat législatif à l’Assemblée nationale, son administration était bien présente, en première ligne pour entendre les revendications qu’elle connaît pour les expliquer aux autres composantes du gouvernement, décisionnaires et pas toujours au fait des réalités de ce métier, et des équilibres fragiles qui le caractérise. Martin Ajdari, directeur général des médias et des industries culturelles, a reconnu bien volontiers les absences d’explication des pouvoirs publics, et l’anxiété que ce silence a pu soulever, en apportant finalement l’information essentielle de l’après-midi : l’organisation le 21 juin d’une grande réunion d’information et de concertation, avec notamment les affaires sociales, seules vraies absentes de l’après-midi. Même le ministère du Budget avait fini par envoyer un représentant pour expliquer les subtilités de l’impôt à la source appliqué au revenu des auteurs, et mesurer la complexité d’une situation (décalage et irrégularité de revenus) qu’il ignorait apparemment.
18 millions d'euros affectés pour compenser la hausse de la CSG
La semaine dernière, sentant monter l’exaspération, le gouvernement a en partie déminé le terrain en publiant le 15 mai le décret prêt depuis plusieurs mois, qui met en oeuvre la promesse de compensation de hausse de la CSG faite par Françoise Nyssen à l’automne dernier. Et deux jours plus tard, la ministre de la Culture recevait le CPE pour confirmer que cette compensation s'appliquera à tous les auteurs, affiliés à l'AGESSA-MDA, ou simple assujettis aux cotisations sociales, à régler sur leurs droits. En puisant dans les fonds de réserves du ministère, 18 millions d’euros sont affectés pour compenser la hausse de la CSG pour les artistes et auteurs. Pour tous les salariés des entreprises privées, cette hausse sera surcompensée à l’automne par la suppression totale de la cotisation chômage et se traduira par un gain de pouvoir d’achat.
Une mission conjointe de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) doit déterminer les modalités pratiques de cette compensation, en 2018 et au delà, qui soulève encore de nombreuses questions. Elle doit rendre ses propositions avant l’été. Ses deux inspecteurs devront aussi formuler des propositions concernant l’actualisation de la circulaire de 2011 sur les revenus connexes, qui aurait dû être révisée en 2015.
En attente de précisions
Mais les demandes réitérées de report d’une année du prélèvement systématique de la cotisation retraite de base pour tous les auteurs, désormais confié à l’Ursaff du Limousin, ou du prélèvement de l’impôt à la source pour les artistes auteurs se sont heurtées à un scepticisme poli des représentants du ministère de la Culture, et des parlementaires présents (Frédérique Dumas, députée La République en marche des Hauts-de-Seine, vice présidente de la commission des affaires culturelles, et Laure Darcos, sénatrice Les Républicains de l’Essonne, membre de la commission de la culture). La fin probable de l'Agessa, de la distinction entre affiliés et assujettis, ou l’aménagement de la hausse de la retraite complémentaire n’ont pas reçu plus de précisions.
Intervenant à la dernière table ronde sur ce que pourrait être le futur régime social des auteurs, Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition, et P-DG du groupe Média-Participations, a dénoncé l’absence de concertation de l’Etat, et assuré que les éditeurs sont au coté des auteurs, en dépit de leurs difficultés propres. Marie Sellier, présidente de la Société des gens de lettres a évoqué diverses pistes pour financer ce régime social, et atténuer la précarité grandissante qui caractérise les auteurs : redevance sur les livres d’occasion, contribution sur les livres du domaine public, ou sur l’ensemble des quelque 450 millions de volumes vendus chaque année en France, ou encore hausse des cotisations sociales à la charge des éditeurs, limitées à 1,1% sur les droits. « L’auteur est le premier maillon d’une chaîne dont dépend toute une industrie, et c’est le maillon le plus faible, toute la profession doit se pencher sur le malade » a-t-elle exhorté.
Vincent Monadé, président du Centre national du livre, a suggéré une fin de la remise de 5% qui ampute tous les revenus, une TVA encore plus basse (2,1%, réservée à la presse), ou encore une taxation des grandes multinationales de l’Internet, qui profitent largement des contenus culturels sans contribuer au financement de leur création. Il a évoqué un plan de 7 millions d’euros autour du réaménagement des aides et bourses que le CNL attribue aux auteurs.
Prochain rendez-vous fixé au printemps 2019
En conclusion, Pascal Ory a donné rendez-vous au printemps 2019 pour le tome 2 de ces Etats généraux, consacré cette fois « au partage de la valeur et au modèle économique, et donc aux relations avec les éditeurs et les diffuseurs. Ce sera l’occasion de montrer que dialogue et rapport de force permettent de faire avancer une question » a prévenu le président du CPE, par ailleurs historien, analyste des mouvements sociaux, se félicitant de l’écoute enfin manifestée par les pouvoirs publics, après la montée manifeste de la colère des auteurs.