Journal/Hongrie 12 septembre Sándor Márai

« Je suis né écrivain, c'est tout. » Ainsi s'affirme Sándor Márai, qui voit le jour en Hongrie, en 1900. Depuis qu'Albin Michel l'a exhumé de l'oubli, on ne cesse de s'émerveiller de l'immensité de son œuvre (Les braises, 2001). Son journal en est l'apothéose. Il est sorti en 18 volumes dans son pays natal. En France, on a droit à un triptyque, dirigé par sa traductrice Catherine Fay et le spécialiste András Kányádi. Les années hongroises (vol. 1) relate les années 1943 à 1948. L'auteur confirmé, refusant de prêter sa plume à une presse dépourvue de liberté, donne une nouvelle tournure à son écriture. « Quel est le but d'un Journal d'écrivain ? De témoigner des événements, du monde extérieur en temps réel ? Pour témoigner de nous-mêmes, de ce que le monde reflète en nous ? » Márai combine merveilleusement les deux, dans une narration qui n'appartient qu'à lui. Pas de dates, juste des émotions et des réflexions qui composent un roman vivant. Celui d'un homme déchu marqué par la guerre et déçu par ses congénères. La guerre est à ses yeux « la maladie de l'humanité. Ce monde est abominable, désespérant, insoutenable. »

Il pleure son pays détruit, « mortellement blessé. La littérature hongroise n'a pas établi de liaison avec la littérature mondiale. Son destin est tragique. » Aussi cherche-t-il d'autres consolations. « On développe un instinct extraordinaire pour trouver des lectures qui correspondent à l'époque que l'on vit. » Ses compagnons se nomment : Hugo, Dostoïevski, Kafka, Goethe, Platon, Baudelaire ou Zweig - avec lequel on note une gémellité -, la poésie ou la Bible. Grâce à eux, « la vie entre les alertes aériennes devient onirique, brumeuse ». Sándor Márai nous éclaire également sur l'écriture de ses livres. Il se réjouit des traductions, tout en se sentant précaire. « Mes livres connaissent un meilleur sort que le mien. Il vaut mieux être livre qu'écrivain. » Comment évolue « le jeu de la vie » face à la guerre ? « Mon intérêt s'est toujours porté sur les êtres humains », qu'il dissèque avec brio. « Que la vie est admirable et l'homme, grandiose et pathétique, dans sa vérité. » Il pose sur lui un regard critique et politique. Lui qui a connu tant de régimes analyse son époque avec une justesse saisissante. Elle entre tristement en résonance avec la nôtre. La bombe atomique, l'écologie, les crises migratoires ou l'égocentrisme sont pointés du doigt. Sándor se désole du « triomphe de la rapacité et de la bêtise. La lâcheté, toujours, ainsi que l'individualisme cupide. »

Son ambition ? « Ecrire la vraie histoire des hommes : comment, en traversant quelques guerres mondiales ou migrations de peuples, comment à partir de toutes ces violences, s'élaborent un tableau, un vase chinois ou une fugue de Bach. » Pour l'heure, il s'astreint à vivre. Un petit garçon que Sándor adopte, promesse d'un avenir possible. Or l'exil géographique et psychologique constitue une nouvelle épreuve. « Un grand écrivain conserve l'univers d'où il vient et auquel il a appartenu, comme la matière d'un météore égaré révèle les secrets du cosmos, étincelle à chaque ligne. » Sándor Márai y parvient fidèlement dans ce chef-d'œuvre. On y retrouve la beauté de son style, sa lucidité psychologique, son côté ironique, nostalgique et prophétique. « Mon âme, tant que je vivrai, m'appartiendra. Si je survis, j'écrirai. Je ne pense pas, donc je suis. Si je pensais, je m'anéantirais, peut-être. » Il le fera en 1989. « Notre œuvre est plus grande, plus entière et plus forte que ce que nous sommes. » Elle lui survit admirablement.

Sándor Márai
Journal. Volume 1, Les années hongroises : 1943-1948 - Traduit du hongrois par Catherine Fay édition Catherine Fay, Andras Kanyadi
Albin Michel
Tirage: 7000 ex.
Prix: 25 euros ; 400 p.
ISBN: 9782226438164

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