La grande santé est un livre terrible que Frédéric Badré a préparé mentalement et qu’il a dicté. Auteur d’une biographie de Jean Paulhan (Paulhan le juste, Grasset, 1996) et d’entretiens avec François Nourissier réalisés en compagnie d’Arnaud Guillon (Mauvais genre, Gallimard, 1996, Folio), celui-ci n’est plus en mesure d’écrire seul. Il voit son existence basculer en 2012 lorsque des troubles de l’élocution l’amènent à consulter à l’hôpital Saint-Joseph.
Le peintre et écrivain découvre qu’il est atteint d’une SLA. Une sclérose latérale amyotrophique, plus connue sous le nom de maladie de Charcot, du nom du médecin qui l’a décrite au XIXe siècle. Frédéric Badré perd treize kilos en un an. Sortir seul dans la rue lui est difficile, conduire bientôt déconseillé. Ses bras fondent, sa langue ramollit. Le voici prisonnier d’un corps qu’il ne maîtrise plus. Incapable de jouer de la guitare alors qu’il a tant aimé le rock des Rolling Stones et de J. Geils Band… La grande santé permet d’accompagner un homme qui a compris qu’il pénétrait dans "un nouveau royaume" et éprouve la sensation que sa vie "est sortie de ses gonds". La maladie de Charcot est un casse-tête. On en ignore la cause, on ne peut en guérir. Toujours profond et jamais doloriste, Badré se montre ici lucide et plein de passion pour les beautés de l’existence et de l’art.
Alors qu’il s’interroge sur son époque et ses congénères, il trouve des échos de son cas à la lecture du Némésis de Philip Roth. Comment ne pas convoquer le Kafka de La métamorphose ? Chemin faisant, Badré repense aux lieux qui l’émeuvent ou bien à une étrange rencontre avec un Ionesco incapable de parler. On l’accompagne à chaque page avec la plus grande émotion. Al. F.