La
restructuration prochaine de la Bibliothèque publique d’information est une excellente nouvelle. La Bpi va enfin pouvoir se réinscrire dans la dynamique audacieuse du Centre Pompidou qui, dès le début et dans une vision prémonitoire du futur de la culture, avait décidé d’associer étroitement les différentes formes d’expression, dont le livre et l’écrit.
Apartheid culturel
Cette dynamique avait été compromise lors d’une première rénovation du Centre à la fin des années 90. Celle-ci avait eu pour effet de réduire la bibliothèque à la fonction d’une simple salle de travail, certes imposante et utile aux étudiants parisiens, mais sans rapport avec le laboratoire national de la lecture publique qu’elle était au départ, en complément de la mission patrimoniale de la BnF. Elle l’avait surtout séparée du reste du Centre Pompidou en rejetant son entrée et le peuple de ses lecteurs à l’arrière du bâtiment. En l’encombrant, aussi, de sinistres escalators qui la coupaient de l’élégante chenille de Piano et Rogers, désormais réservée au Musée. Finalement, le Centre Pompidou était devenu une juxtaposition de silos culturels et un lieu d’apartheid, à l’opposé de la promesse initiale et de l’émergence d’une culture du passage.
Coexistence intelligible
Le projet de la Bpi, au contraire, retrouve l’esprit d’origine, tout en l’actualisant. Il ne fait pas que reconnecter la bibliothèque à la Piazza et à l’artère centrale de la chenille, réintégrant ainsi le livre et la lecture au cœur de la création et favorisant le brassage de tous les publics. Il revisite les paramètres de la lecture publique avec son réseau d’espaces conçus comme des univers thématiques mobilisant toutes les formes de lecture ou d’écriture et permettant aux divers parcours de recherche de se déployer à travers tout l’écosystème de la connaissance. En effet, qu’il s’agisse d’un savant, d’un lycéen ou d’un demandeur d’emploi, toute recherche qui prétend échapper aux bulles cognitives de la tribu suppose une capacité de contextualisation et une créativité que les bibliothèques publiques ont pour vocation de susciter. C’est en cela, d’ailleurs, que la Bpi pourrait aider à réinventer le Centre Pompidou lui-même, Musée compris, autour d’un concept, l’intelligibilité du monde.
Cognitif menacé
Une légère inquiétude se fait jour cependant à l’annonce d’un autre chantier, celui de
la mise à niveau de toute l’infrastructure du Centre Pompidou de 2023 à 2026. En effet, comme surgies du passé, des voix (par exemple, celle de Jean-Jacques Aillagon dans
Le Monde du 27 janvier dernier) reprennent déjà l’idée d’un transfert de la Bpi en dehors de Beaubourg au profit d’une extension du Musée. On croyait pourtant dépassée la logique du toujours plus à l’heure de la gestion dynamique des collections et d’un redéploiement des efforts vers la médiation et le croisement des publics. On espérait surtout que l’honnête homme d’aujourd’hui aurait enfin intégré la transversalité culturelle qu’il lui était peut-être difficile d’accepter peu de temps après 1968, lorsque Beaubourg est tombé du ciel comme un OVNI, mais que notre environnement cognitif rend aujourd’hui évidente.
Aussi, est-il temps d’en appeler à une deuxième utopie Beaubourg dont la Bpi serait pleinement partie prenante.