En 0, ce sont les ouvrages généraux. Ajoutez un 25, et arriveront les opérations archivistiques, bibliothéconomiques et documentaires. Vous tomberez alors sur le Guide de la classification décimale de Dewey d'Annie Béthery, portant la cote 025. Voire 025.431 dans la notice très détaillée de la Bibliothèque nationale de France.
Cette suite de chiffres permet de retrouver avec précision un livre dans une bibliothèque, selon la classification conçue par le bibliothécaire américain Melvil Dewey (1851-1931). Elle fait l'objet d'ajustements dans les bibliothèques publiques, comme la médiathèque 7 lieux à Bayeux (Calvados), ou la bibliothèque du Grand Narbonne (Aude), qui a préféré un classement thématique, en recotant... 80 000 documents. Mais pourquoi des bibliothèques décident-elles de "casser" cet outil intellectuel ? Et dans ce cas, comment organiser la connaissance aussi justement que (dé)faire se peut ?
Réinterroger le découpage
L'un des reproches faits à la Dewey : elle sépare trop. La criminologie (364) l'est du droit pénal (345). « Le découpage en disciplines fait que certains sujets peuvent être classés dans diverses classes », résume Pascal Wagner, ex-président de l'Association des bibliothécaires de France, dans « Recherches, classements, catalogues et trouvailles » - texte disponible sur demande à l'auteur, contacté directement par les bibliothécaires.

Donnant l'exemple du cheval, se trouvant en zoologie (599.66), élevage (636.1) et sports équestres (798). La médiathèque de Louannec (Côtes-d'Armor) a fait le choix de rassembler le tout en "Ani", pour animaux. Celle de Bois-le-Roi (Seine-et-Marne) a décidé de ranger les guides de voyage par ordre alphabétique, « comme pour les romans », remarque la directrice Florence Couvreur-Neu. Plus besoin d'aller en « Espagne » pour les Canaries.
Autre exemple : le régime anticholestérol autrefois rangé en médecine a rejoint les recettes de cuisine, auparavant identifiées en technique. Mais là aussi, c'est discutable. Comme le rappelle Pascal Wagner, « il n'existe pas de classement parfait. Tout classement est le résultat d'un choix qui génère des effets positifs mais aussi des effets négatifs ».
Actualiser : seniors et bien-être
Autre reproche : la Dewey serait datée. « Elle a été conçue au XIXe siècle en fonction des préoccupations de Melvil Dewey, qui tenait naturellement compte des besoins de l'époque. Ce découpage ne correspond plus vraiment au contexte actuel », poursuit Pascal Wagner.

La médiathèque Bernard-Pivot à Caluire (Rhône) a ainsi regroupé l'écologie en un espace unique. Et la médiathèque Simone-Veil de Valenciennes (Nord) a créé les sections Formation/Emploi, DIY, Environnement, ou encore Senior. « Pour prendre l'exemple de Senior, les ouvrages correspondant étaient éparpillés en santé ("vieillir en forme"), en informatique ("Internet pour les seniors"), ou en sciences sociales ("préparer sa retraite"). Nous avons pris le parti de les regrouper pour plus de lisibilité et être en lien avec la politique de la ville", illustre Dorothée Bout, responsable du pôle Collections. Même logique pour le rayon bien-être, "répondant aux demandes autour du développement personnel au sens large ». Elle y place les médecines alternatives, « ce qui nous permet de les sortir du rayon médecine ».
Simplifier
Troisième grief fait par les petites et moyennes bibliothèques publiques : la complexité de la Dewey. Pour la médiathèque de Fréhel (Côtes-d'Armor), « la Dewey est trop détaillée pour notre petit fonds », selon Aurélie Dréan. À Bois-le-Roi, la nomenclature s'arrête à deux chiffres. « Parfois, on en voit cinq, mais nous, nous proposons des livres grand public », indique Florence Couvreur-Neu. Il s'agit, en simplifiant, de rendre les lecteurs plus autonomes. « La Dewey parle aux bibliothécaires, mais pas aux lecteurs. Et même les bibliothécaires ne sont pas forcément tous à l'aise avec elle, notamment les bénévoles », observe-t-elle.
Mais comment créer une « nouvelle » logique de pensée ? En s'appuyant tout de même sur la Dewey, comme le fait la nouvelle bibliothèque municipale d'Allauch (Bouches-du-Rhône). Ensuite, suivre la logique la plus commune possible - le jeu Unanimo peut aider. « Parfois, on cherche des synonymes pour que la cote et les documents rattachés se trouvent dans un ordre qui nous semble cohérent. Par exemple, on a créé un rayon spiritualités qui regroupe les religions mais aussi l'ésotérisme. Pour garder ensemble et à la suite les trois grandes religions (christianisme, islam, judaïsme), on a dû coter l'ésotérisme en occultisme car sinon, les documents sur l'ésotérisme se retrouvaient entre le christianisme et l'islam », détaille Dorothée Bout.

Comme le résume Mari Bordier, du réseau Libellule (la Roche aux Fées, en Ille-et-Vilaine), remplacer la Dewey par « Centre d'intérêt » (Art, Loisirs, Société, Nature, Monde, Famille, Sciences & Techniques) « a fait l'objet de nombreuses réunions et prises de tête, car on hésite parfois entre trois cotes pour un même titre, ce qui est aussi le cas avec la Dewey », ironise-t-elle.
Comme l'écrit encore Pascal Wagner, « une bonne classification, un bon plan de classement, c'est celui qui est le plus "transparent" pour les usagers. Mais dans ce cas, "transparent" ne doit pas nécessairement signifier "simpliste", au contraire ! »
Guider
Ce qui compte, finalement, c'est que lecteurs et bibliothécaires sachent s'orienter. D'une part, que les catalogues soient de qualité, Fabiola Muller-Moeglin de la médiathèque du Rocher, à Ferrette (Haut-Rhin), se félicite d'avoir pu intégrer leur système de classification dans le logiciel. D'autre part, que la signalétique soit claire. Comme le décrit Aurore Servoin, de la bibliothèque de Chaville (Hauts-de-Seine), « nous avons très vite décidé de partir sur un système de classement assez visuel, voulant simplifier les recherches pour les usagers et être un maximum inclusif, d'où l'idée de couleurs et de pictogrammes ».
Dewey ou pas, « comme personne ne comprend rien aux cotes, la signalétique est primordiale : des objets comme une mappemonde ou des livres de face. Pour moi, quand on en vient aux cotes, c'est que ça n'est pas clair », tranche Sophie Loiseau, de Louannec. Mais dans le pire des cas, que l'on se rassure, le lecteur se trompera et repartira avec plus de livres que prévu.