Livres Hebdo : Vous venez d’arriver à la tête de Tallandier. Comment cela s’est-il passé ?
Jean-Baptiste Bourrat : J’avais croisé à plusieurs reprises Xavier de Bartillat, mais nous ne nous connaissions pas personnellement. Il m’a contacté en novembre 2024 pour me proposer de lui succéder et j’ai très vite accepté. À 53 ans, j’ai eu envie de relever ce challenge qui m’offre l’opportunité d’emmener la maison dans un projet de développement nouveau. À mon arrivée chez Tallandier, j’ai rencontré une équipe soudée, autonome et très attachée à la maison.
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Dans un marché du livre d’histoire en érosion régulière, comment se porte Tallandier ?
Tallandier a réalisé en 2024 la meilleure année de son histoire récente. C’est un très beau cadeau d’arrivée de rejoindre une maison en bonne santé dans tous les domaines. Nous l’avons vu par exemple avec les beaux-livres et l’immense succès de Rebâtir Notre-Dame de Mathieu Lours qui s’est écoulé à près de 50 000 exemplaires, chiffre considérable pour un titre vendu 49,90 euros. Nous avons aussi été portés par les bonnes performances du Monde nazi : 1919-1945 de Johann Chapoutot, Christian Ingrao et Nicolas Patin (+ 30 000 ex.) ou encore par L’accélération de l’histoire de Thomas Gomart (près de 20 000 ex.).
Dans quelle mesure le succès d’un livre d’histoire est-il quantifiable ?
Depuis 25 ans, ce qui m’intéresse est de partir d’une idée, d’un sujet, d’un texte, et d’aller chercher des lecteurs. Pas seulement de faire plaisir à l’auteur ou à un petit milieu… étant un obsessionnel de la transmission, je suis heureux quand je pense avoir touché le maximum des lecteurs que pouvait atteindre un texte, que ce potentiel soit de 1 500 personnes ou bien plus selon le sujet. L’essentiel est de proposer des livres qui rendent intelligents, qui aident à mieux comprendre le monde.
« La géopolitique représente aujourd’hui 40 % de notre production »
Tallandier est très associé à l’histoire, mais vous développez aussi fortement la géopolitique…
On dit souvent que Tallandier est une maison d’histoire. Mais depuis quatre ou cinq ans avec Nathalie Riché (directrice littéraire, ndlr), nous avons beaucoup augmenté la part de la géopolitique, domaine en plein développement en raison de l’actualité internationale chargée. Elle représente aujourd’hui 40 % de notre production tandis que l’histoire occupe les 60 % restants. Il y a bien sûr Le dessous des cartes qui approche 700 000 exemplaires, toutes éditions confondues, mais aussi nos titres sur la guerre en Ukraine, sur le rapport du Giec… En réalité, nous avons un catalogue très varié avec des auteurs de tous les horizons : si la collection « Libre à elle » peut intéresser un public plus féminin, d’autres titres s’adressent aux amateurs d’histoire pure et dure. Nous préparons par exemple un livre sur les idées reçues sur le Moyen Âge. Plusieurs de nos titres ont aussi vocation à alimenter le débat public, tels Le peuple français – histoire et polémiques de Gérard Noiriel ou le nouveau livre de Laurent Joly sur la France de Vichy, sans oublier Le Dessous des Cartes d’Émilie Aubry et Frank Tetart.
Et le poche ?
La collection « Texto » représente un tiers de notre chiffre d’affaires, avec une croissance constante depuis quatre ou cinq ans. Je demande souvent autour de moi à quel âge les gens ont acheté avec leurs propres deniers un livre d’histoire en grand format. C’est souvent passé la trentaine ! Le poche, qui comprend déjà 600 titres au catalogue, offre un axe réel de développement avec 50 parutions par an, contre 65 pour les grands formats. La plupart des « Texto » sont issus du fonds, mais nous acquérons aussi des titres chez d’autres éditeurs, parfois parce qu’ils n’ont pas de collection dédiée et parfois parce qu’il s’agit de titres trop volumineux. Nous avons une économie des petits ruisseaux qui font les grandes rivières qui nous permet d’accueillir ces titres.
En tant que nouveau P-DG de Tallandier, quels sont vos axes de développement ?
Je ne vais pas faire table rase du passé mais au contraire m’inscrire dans la continuité de ce qu’a construit Xavier de Bartillat. La maison a une très belle image, nous allons maintenir le volume de parution, qui est le maximum que nous pouvons produire avec l’équipe en place. Et j’imprimerai ma patte sur la manière de travailler tel ou tel titre, sans que cela m’empêche d’explorer de nouveaux formats. Nous allons ainsi développer la publication de bandes dessinées.
« Je veux que la BD soit un projet collectif »
Quelle forme prendra cette nouvelle offre de bandes dessinées ?
Aux Arènes j’ai été le premier à proposer de la BD, qui a très bien trouvé son public et dont je suis convaincu qu’elle correspond aussi à l’ADN de Tallandier. Nous allons commencer par publier quelques titres et nous verrons ensuite si cela peut conduire à la création d’une collection. En 2026, nous proposerons une adaptation de la vie de Marc Bloch en BD, en vue de sa panthéonisation du mois de juin, par Laurent Bidot et Jean-Denis Morvan, scénariste de la BD Madeleine Riffault, et Suzette Bloch, la petite-fille de Marc Bloch. Une adaptation du journal d’Hélène Berr, grand best-seller de la maison avec le dessinateur et scénariste Charles Berberian suivra en 2027. Nous verrons comment la BD prend un interne, je veux que ce soit un projet collectif, éventuellement appelé à devenir une collection si le succès est au rendez-vous.
Quelles sont vos autres perspectives ?
En plus de la BD et du roman graphique, je souhaite une ouverture plus grande à l’international. Aujourd’hui le catalogue de Tallandier compte plusieurs livres traduits qui sont confiés à l’agence BAM (Book and more) pour les cessions. Nous faisons aussi un peu d’acquisition, par exemple l’an dernier avec le dernier livre de Peter Frankopan. L’objectif, à présent, est d’aller plus loin. Je dispose un solide réseau d’éditeurs à l’étranger et j’ai la chance d’avoir participé à beaucoup de fellowships et échanges avec des éditeurs internationaux ; cela va nous permettre de proposer davantage de nos titres à la traduction et de mieux accompagner les auteurs pour les aider à penser aux lecteurs étrangers.
Quel objectif vous fixez-vous pour les cessions de droits ?
Quelques dizaines de livres du catalogue de Tallandier ont été traduits à ce jour. D’ici deux à trois ans, nous voulons augmenter significativement leur nombre. Je serai à Francfort avec Judith Simony (directrice littéraire de Tallandier, ndlr) pour regarder la production étrangère, mais aussi et surtout pour vendre notre catalogue. Nous avons ce savoir-faire.
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