Avec un volume et un chiffre d'affaires en baisse de 10 % sur un an, le rayon du livre d'histoire subit la peine du marché. Mais les éditeurs restent optimistes. « Les sciences humaines sont en repli assez net depuis 2019 et l'histoire, qui représente la moitié de ce secteur, se porte plutôt mieux. L'histoire reste très présente dans l'imaginaire collectif », souligne Vincent Casanova, directeur éditorial du département des sciences humaines de Seuil. « Les Français aiment l'histoire, sous forme de fiction ou non » renchérit Jean-Baptiste Bourrat, à la tête de Tallandier.

Le directeur éditorial de Perrin, Christophe Parry, estime que c'est lorsque le marché est difficile qu'il faut faire preuve d'imagination et se recentrer sur ses fondamentaux. « Ce qui fait un bon livre, résume-t-il, c'est un bon auteur, un bon suivi et une bonne fabrication. » Or l'insertion de cartes, d'illustrations, d'infographies, l'achat de droits photos, la pagination élevée et le tirage assez faible (entre 1 800 et 3 500 ex) entraînent des coûts importants.
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Les maisons d'édition resserrent donc leur production. Christophe Parry confirme être plus sélectif, eu égard au travail des auteurs, et limite les parutions à une soixantaine d'ouvrages en grand format et une quarantaine de poches chaque année. Seuil, qui publie 16 titres cet automne, a réduit depuis plusieurs années sa production. « C'est un crève-cœur de travailler sur un livre qui n'aurait pas de place auprès des lecteurs », souligne Vincent Casanova.

Face à ces contraintes, les éditeurs savourent les paris gagnants, comme Le Monde confisqué, d'Arnaud Orain, paru en janvier 2025 et tiré d'abord à 4 000 exemplaires. Bilan : 8 000 exemplaires GFK et six traductions à l'étranger. « On savait qu'on avait un livre formidable, un essai de très grande qualité, explique Sophie Hogg, directrice générale adjointe de Flammarion. Mais le sujet pouvait sembler difficile, le contexte nous a aidés. Ce genre de surprise merveilleuse nous encourage. » Le prochain enjeu de la maison en beau livre d'histoire est Le tour de la grande Bourgogne. Sur les traces des Téméraires de Bart Van Loo, tiré à 25 000 exemplaires.

Vers la narrative non-fiction
Un autre défi est d'imposer l'écrit face à la concurrence des podcasts, des docufictions et de YouTube. Les éditeurs se montrent de plus en plus attentifs à l'écriture. « Chez Passés Composés, notre rôle n'est pas de publier des textes académiques mais de créer une médiation entre la recherche et le public, estime Nicolas Gras-Payen, directeur éditorial histoire d'Humensis et créateur des éditions Passés Composés. La matière porte en elle-même une dramaturgie qui pousse au récit et la fiction. On s'empare beaucoup de l'histoire car les expériences humaines sont extrêmement riches. La difficulté est d'imposer un récit sans tomber dans le roman, ni dans le roman national. "Récit" ne signifie pas affadissement du propos. »

Christophe Guias, directeur éditorial de Payot, confirme que la demande du public va dans ce sens. Il a choisi de mettre l'accent sur la narrative non-fiction mais déplore que trop peu d'auteurs français sachent raconter leur savoir. Contrairement à leurs confrères étrangers, les universitaires tricolores sont peu encouragés par leurs pairs à s'adresser au grand public. Christophe Guias croit également en la force de la « non-fiction immersive », à l'instar ce qu'on retrouve de plus en plus en muséographie. « Les jeunes aiment lire, mais sont trop coupés de l'histoire, analyse-t-il. L'enjeu, c'est de faire des livres accessibles et qu'on ait plaisir à lire. Plutôt que ramener les jeunes aux livres, il s'agit de ramener le livre aux jeunes, et le rôle de l'éditeur est essentiel. »
De nouvelles formes de récits
Si la biographie continue à bien se porter (+8 % du volume des titres en 2024), des formats plus courts et des formes de récits hybrides émergent. Des livres-enquêtes, comme Les zones grises, d'Alexandra Saemmer (Bayard Récits), où l'autrice, chercheuse en sciences sociales, part sur les traces de sa famille allemande afin de comprendre ses choix face au nazisme. Chez Seuil, c'est Philippe Broussard, reporter au Monde, qui raconte les années noires à travers Le photographe inconnu de l'Occupation et entraîne le lecteur sur les traces d'une collection de photos d'époque miraculeusement retrouvées. Toujours au Seuil, Les volontaires de Thomas Dodman présente la Révolution par le prisme des archives d'une famille modeste. Chez Passés Composés, la collection « Un Village », en librairie début octobre, raconte l'histoire de France par ses habitants.
L'impact du poche dans le rayon histoire
À l'autre bout de l'échelle narrative, l'infographie prend de l'ampleur. Plus onéreuse à produire mais très didactique, elle reçoit un bon accueil à l'étranger et ouvre la porte à des cessions de droits. Elle permet de renouveler les approches et de séduire les étudiants, les enseignants ou les journalistes. Passés Composés travaille avec des graphistes spécialisés, comme Julien Peltier et Nicolas Guillerat, qui publie avec Marie Moutier-Bitan une Infographie du nazisme en octobre.
Chez Flammarion, la collection « Mémo » de Librio offre l'état des lieux condensé d'un sujet. La collection Vérités et légendes, en format question-réponse, créée en 2017 par Perrin et dirigée par Emmanuel Hecht, a remporté le succès grâce à sa conception didactique et une écriture accessible. « Aujourd'hui, des historiens nous contactent d'eux-même pour y participer », se réjouit Christophe Parry. Imaginé par Grégoire Thonnat pour les éditions Pierre de Taillac, Le Petit Quizz de la Grande Guerre a été présenté en 2013 dans un contexte extrêmement concurrentiel et s'est démarqué par son miniformat et son prix (10 000 exemplaires GFK, 40 000 exemplaires vendus). La collection compte aujourd'hui 23 titres, et s'est solidement implantée dans les musées et auprès des enseignants.
Complémentarité
Pour Elisabeth Fisera, responsable éditoriale chez Eyrolles, il s'agit d'offrir aux lecteurs différentes possibilités de lecture, avec des entrées plurielles. Elle a choisi de faire parler les artefacts dans la collection « 50 objets racontent » dirigée par Alexandre Maujean. « On n'est pas là pour concurrencer les maisons spécialisées, rappelle Elisabeth Fisera. On est vraiment complémentaire. Les historiens que nous avons contactés nous ont tous répondu très vite, et ils ont aimé réfléchir différemment à leur période de référence, en partant de l'intime. »
Selon Yannick Dehée, fondateur de Nouveau Monde Éditions, le livre d'histoire exige de savoir réagir vite face à l'air du temps tout en maintenant des projets structurants, plus longs à aboutir, mais qui installent la maison. Les ouvrages collectifs portés par des auteurs reconnus, les périodes de la Seconde Guerre mondiale, du Premier Empire ou l'histoire de France conservent un large public. Les productions audiovisuelles ont fait naître un intérêt pour les Vikings ou l'histoire de l'Angleterre. Les inquiétudes sociétales ont porté Sans transition. Une nouvelle histoire de l'énergie de Jean-Baptiste Fressoz (Seuil), qui a explosé les compteurs : 17 800 exemplaires GFK. L'histoire économique, qui n'aurait pas fonctionné il y a dix ans, revient en force et la géopolitique prend de l'ampleur. À la frontière de la sociologie, les thématiques féministes se sont également imposées et entraînent de beaux succès. À l'inverse, les ouvrages sur la guerre d'Algérie, ou le haut Moyen Âge ont du mal à percer.
La prescription de la presse traditionnelle, qui reste très forte, et les rencontres avec les lecteurs sont essentielles pour accompagner les ouvrages. « La maison fait un très gros investissement sur les salons, les rencontres, les dédicaces, confirme Jean-Baptiste Bourrat. Nous participons à plus de 30 salons en 2025, et avons organisé 137 événements pour soutenir nos auteurs. »
