Sale temps pour les aventuriers ? Dans un monde où les tensions géopolitiques explosent, la liste des pays où il (re)devient difficile, voire impossible, de voyager a tendance à s'allonger. « Iran, Ukraine, Birmanie... Beaucoup de pays sont actuellement "fermés", ce qui se ressent sur la fréquentation de la librairie », explique Gérard Valembois, cogérant d'Autour du monde à Lille, qui figure parmi la dizaine de librairies françaises spécialisées dans le voyage.
Christophe Guias, directeur éditorial de Payot.- Photo OLIVIER DIONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Indispensables salons
Mais si les guides de voyage et autres ouvrages pratiques peuvent en être directement impactés, la littérature d'aventure, elle, a de quoi tirer son épingle du jeu. « En raison des conflits, de plus en plus de zones géographiques ne sont aujourd'hui plus, ou difficilement, atteignables. Ces endroits-là génèrent de l'imaginaire : on veut se projeter et lire ce que ceux qui y sont allés, y compris il y a cinquante ans, peuvent avoir à nous raconter », estime Christophe Guias, directeur éditorial de Payot, éditions qui développent la collection « Voyageurs ».
Les femmes en aventure
« On a envie de publier des femmes parce qu'elles ont été largement minorées dans la littérature de voyage », explique Valérie Dumeige, directrice éditoriale d'Arthaud, où paraît en janvier Le souffle de la forêt. Sur les traces de Simona Kossak, de Simonetta Greggio, un récit inspiré de l'histoire secrète d'une biologiste et écrivaine polonaise qui a vécu plus de 30 ans dans une cabane. Chez Akinomé, Stéphanie de Bussierre publie « à 99 % des femmes », souvent non publiées jusqu'alors, parmi lesquelles Marie Stricher ou encore Virginie Delache, qui a voyagé toute sa vie en train et en solitaire.
« En grand format, on travaille à rendre les femmes plus visibles », assure de son côté Christophe Guias, directeur éditorial de Payot, qui accueille Italia Cosmica, de Linda Bortoletto le 5 novembre. Pour ce récit, l'exploratrice a parcouru à pied pendant une année les 7 800 kilomètres du Sentiero Italia, un des plus longs sentiers d'Europe. « Elle mène à la fois un exploit physique, un projet d'écriture, une quête personnelle et spirituelle », salue son éditeur. En 2026, Payot met à l'honneur d'autres aventurières, comme Annemarie Schwarzenbach, avec deux inédits de cette écrivaine suisse ainsi qu'un roman graphique, Annemarie Schwarzenbach. L'ange dévasté (7 janvier), de Léa Gauthier et Mamoste Dîn.
Aux éditions Dépaysage, la collection « Animales » entreprend quant à elle depuis l'été 2025 de décliner le nature writing au féminin, sous la houlette de l'écrivaine et éditrice québécoise Gabrielle Filteau-Chiba qui a signé l'ouvrage inaugural paru au mois d'août, Louve en juillet, déjà tiré à 16 000 copies.
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Reste qu'éditer des livres d'aventure n'est pas sans risque. « C'est une économie très fragile. On peut rencontrer de beaux succès, notamment sur les salons, mais tout peut s'écrouler très vite », souligne Stéphanie de Bussierre, fondatrice des éditions Akinomé, qui se consacrent principalement aux carnets de voyage. Étonnants Voyageurs en juin à Saint-Malo, Le Grand Bivouac d'Albertville en octobre, le Festival international du film et du livre d'aventure de La Rochelle et le Rendez-vous international du carnet de voyage à Clermont-Ferrand en novembre... Tout au long de l'année, ces événements sont des incontournables pour les éditeurs du genre.
Entraide
La diversification est aussi de mise pour s'ancrer sur ce marché. Spécialisées en littérature d'exploration, les éditions Paulsen ont créé un département jeunesse en 2020, suivi de Paulsen Poche en 2022, et enfin de « La Grande Ourse », une collection de fiction, en 2023. « On a toujours été dans des aventures vécues, que ce soit chez Guérin ou Paulsen, mais les histoires vraies ont aussi leurs limites. Aller vers la fiction permet de raconter autre chose, de s'immerger différemment, et de toucher un autre public », estime Isabelle Parent, directrice des éditions Paulsen, qui vient de publier Cœur d'ourse de Nikolaï Baturin (septembre 2025), un roman poétique et immersif dans la taïga.
Éloge de la lenteur
L'urgence climatique a fait du « voyage lent » une nécessité, un engagement. De quoi nourrir des récits qui trouvent un public grandissant en librairie. « Le slow travel, le voyage à vélo, les récits de marche, le voyage en canoë… Tout ce qui a une empreinte carbone raisonnable fonctionne bien », relève Gérard Valembois, de la librairie Autour du monde, citant Le chemin des plantes, de Nicolas Descave, paru en mai chez Transboréal. L'auteur y raconte son voyage vers Compostelle en consommant les végétaux que la nature lui offre.
Aux éditions Corti, la collection « Biophilia », qui met « le vivant au cœur d'éclairages ou de rêveries transdisciplinaires », accueille volontiers des microaventures, ou quand « l'aventure est au bout du jardin, dans l'intensif plutôt que dans l'expansif », souligne Marie de Quatrebarbes, écrivaine et poétesse. Dans L'appel des campagnes. De la forêt boréale au bocage breton, paru en octobre, le géographe franco-canadien Maxime Jolivel quitte le Canada pour voyager sur ses terres d'enfance, remontant le cours de la Vilaine pendant neuf jours et parcourant près de 200 kilomètres. Un rapport intime au territoire observé chez nombre d'aventuriers, et qui explique leur propension à le défendre. « On publie des manifestes à l'instar de Pour la montagne de Guillaume Desmurs, parti à la rencontre d'une quinzaine de personnes qui militent en faveur de la transition en montagne », illustre Marion Blanchard, directrice éditoriale chez Glénat.
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Dans cet écosystème, neuf maisons d'édition ont uni leurs forces au sein de l'Union des éditeurs de voyage indépendants (UEVI), créée en 2012, mais aussi avec d'autres acteurs. « Grâce à ce groupe dynamique, nous avons aidé financièrement ou en conseil à la création et à la reprise d'une quinzaine de lieux en France, aussi bien des librairies atypiques que spécialisées sur le voyage », indique Marc Wiltz, directeur de Magellan & Cie et membre de l'UEVI. En librairie justement, les classiques ont la cote auprès d'un nouveau lectorat qui ne connaît pas encore les grands noms des catalogues de voyage, découvrant avec plaisir L'usage du monde de Nicolas Bouvier, les récits de Jack London ou d'Alexandra David-Néel, le Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis-Stevenson... Aux côtés de ces indémodables, l'aventure au féminin, de même que le « slow travel » et les atlas poétiques sont des tendances de fond qui façonnent la production éditoriale. Voyage en trois étapes sur les nouveaux chemins de la littérature d'aventure.
Cartographie pratique & poétique
« Le papier ne tombe pas en panne, vous l'avez toujours avec vous », décrit Léo Grégoire, de la librairie du voyage Ariane à Rennes, expliquant en quelques arguments le succès continu des cartes. Autoéditée en 2024 par Jean-Luc Levoux, la première carte papier dédiée au train en France est un succès, vendu par exemple à 2 000 exemplaires dans cette librairie rennaise. Mais au-delà de leur indéniable praticité, les cartes ont un aspect poétique qui n'échappe pas aux éditeurs spécialisés. Ainsi, Autrement publie le 5 novembre dans sa collection « Atlas pour tous », La beauté cachée des cartes de Jean-Luc Arnaud, une invitation à porter un autre regard sur les cartes, à les observer de plus près, à plonger au cœur de leurs dessins et textes pour s'émerveiller de leur beauté ainsi révélée.
La collection de beaux livres « Atlas poétiques », chez Arthaud, continue elle aussi de rencontrer son public, l'Atlas des abysses de Jozée Sarrazin et Stéphanie Brabant (octobre 2024) s'étant écoulé à 9 000 copies. Chez Ulmer, Damien Deville signe La France des mille lieux. Vers un réenchantement cartographique (octobre 2025), un atlas à la croisée entre géographie culturelle et cartographie poétique. En jeunesse, Stéphanie de Bussierre publie chez Akinomé, maison qu'elle a fondée, Mon tour de France écolo (octobre 2025), un atlas organisé non par région mais par écosystème. Une autre façon d'explorer et de rêver le monde.
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