De l’art à la mode en passant par le design ou la cuisine, le pays du Soleil levant n’a pas cessé d’inspirer la France. Dans le secteur du livre, il a ouvert grâce au manga un marché désormais essentiel à l’écosystème hexagonal. Le comic book à la japonaise représente la moitié des achats de droits étrangers… Mais que ce soit du côté des politiques publiques en faveur du livre, ou des pratiques en librairies et en bibliothèques, la France pourrait à son tour souffler quelques idées aux professionnels japonais.
Rappelons que la loi Lang instaurant le prix unique du livre a fait des émules de par le monde, dont le Japon. Aujourd’hui d’aucuns dans l’Archipel lorgnent la récente loi Darcos dont le but est de protéger la librairie indépendante du géant du commerce en ligne américain Amazon.
À première vue, le Japon a tout pour être un pays de Cocagne au plan éditorial – grand pays industrialisé de 124,5 millions d’habitants avec une population cultivée au niveau de vie élevé (37 000 dollars américains par habitant, taux d’alphabétisation de 100 %). Mais son marché du livre est moins florissant ces dernières années. En 2023, les ventes de livres et de magazines sont estimées à 1 596,3 milliards de yens (10 milliards euros), soit une baisse de 40 % par rapport au pic de 2 656,4 milliards de yens (16,64 milliards d’euros) atteint en 1996. Quoique le marché de l’édition électronique croisse de 6,7 % d’une année sur l’autre, le papier a baissé de 6 %.
Synergies franco-japonaises
Colombine Depaire, attachée pour le livre et le débat d’idées à l’ambassade de France au Japon, qui, forte de sa dynamique équipe du pôle livre, a orchestré le festival « Feuilles d’automne » du 11 octobre au 30 novembre, dit combien « le maintien du réseau de librairies et l’accès aux livres en ruralité en plus des villes sont des préoccupations des professionnels du livre japonais ».
Ce salon multisite, dont le programme professionnel a bénéficié d’un partenariat avec la Fondation pour la promotion de l’industrie de la culture de l’édition (JPIC), a convié Livres Hebdo pour une rencontre sur les événements en librairie en France et des conférences sur le paysage éditorial et littéraire français. De quoi, espérons, alimenter la boîte à idées des éditeurs, libraires ou bibliothécaires japonais.
D’après la JPIC, le nombre total de points de vente du livre au Japon est passé de 16 371 en 2012 à 11 495 en 2022, soit une diminution de 29,8 %. En 2023, 614 fermetures de librairies et points de vente de livres ont été comptabilisées, contre 92 ouvertures. La bibliothèque japonaise quant à elle se défend plutôt bien dans un univers accaparé par les réseaux sociaux et dans une économie de l’attention où l’objet-livre fait figure de résistant.
Le nombre de bibliothèques dans l’Archipel n’a cessé d’augmenter depuis 1963, atteignant le chiffre record de 3 394 en 2021 (mais 3 305 en 2023). Ombre au tableau : si toutes les grandes municipalités disposent d’une bibliothèque, 26,7 % des villes et villages n’ont ni librairie ni bibliothèque (sur un panel de 926 villes et villages, 247 n’offrent donc aucun accès de proximité aux livres) ; de plus, les infrastructures commencent à vieillir faute de moyens…
Book Meets Next : 300 événements à travers le Japon
Dans un contexte apparemment morose, c’est avec une détermination sans précédent et une énergie accrue que la JPIC a organisé du 26 octobre au 24 novembre l’événement livre de la saison Book Meets Next : environ 300 événements sur tout le territoire, faisant intervenir les acteurs du livre japonais et internationaux, dont le Tokyo Rights Market dans la capitale où se sont croisés les principaux éditeurs et agents japonais et les professionnels étrangers.
La JPIC entendait renouer avec une politique d’ouverture sur le monde naguère portée par la Tokyo International Book Fair, à laquelle la pandémie du Covid avait mis un coup d’arrêt… Effort salutaire dans la mesure où les éditeurs japonais demeurent timorés et peu enclins à traduire.
Selon la Japan Book Publishers Association, 66 885 nouveaux titres ont été publiés en 2022. Dans un marché principalement centré sur la production nationale, les livres étrangers traduits en japonais représentent environ 4 000 titres, dont une moyenne de 250 titres par an traduits du français. Mais l’enthousiasme, constaté par nous lors de notre reportage à Tokyo, de la part de Manami Tamaoki la directrice de Tuttle Mori, la plus ancienne des agences littéraires japonaises, augure de belles perspectives.
Thomas Piketty ou Mona Chollet sont déjà traduits… L’édition japonaise de Notre-Dame-du-Nil de Scholastique Mukasonga vient de sortir grâce au Bureau des Copyrights français (BCF), agence représentant Gallimard au Japon. L’intérêt est dans les deux sens. Pour preuve : le phénomène de librairie dans la catégorie non-fiction avec Moins ! du philosophe décroissant très en vue Kohei Saito, traduit au Seuil.