Livres Hebdo : Humensis fait partie des premiers groupes à s'être positionnés sur l'IA. L'année dernière, vous avez d'ailleurs mandaté un cabinet de conseil pour aller plus loin dans la réflexion. Quelles conclusions en tirez-vous ?
Guillaume Montégudet : Je perçois l'intelligence artificielle comme une vague. Or quand on est face à une vague, il faut construire des digues pour se donner le temps d'organiser la rive. C'est ce que l'on a fait avec l'opt-out et le TDM. Maintenant, ma conviction est que la digue ne tient qu'un temps. La vague, elle, est là, et si l'on recule, on se condamne ; je suis donc persuadé qu'on doit avoir une approche offensive.
Comment percevez-vous les accords de plus en plus nombreux entre la presse (comme les groupes Le Monde ou Axel Springer) et l'IA ?
Ce qui m'intéresse dans les accords passés avec la presse, c'est qu'ils sont multimodaux. Il y a à la fois ce que l'on retrouve en amont du système - la fourniture de contenus pour l'entraînement du modèle - et ce qui est en sorti, c'est-à-dire toute la partie sourcée de l'IA générative. Selon moi, cette seconde partie est intéressante d'un point de vue marketing éditorial car elle permet de créer des passerelles entre IA et éditeurs.
Comment est-ce que ça pourrait se mettre en place, concrètement ?
À Humensis, par exemple, nous sommes actionnaires de Cairn.info, portail web consacré aux sciences humaines et sociales. Il ne s'agit que d'une réflexion personnelle, mais une piste pourrait être l'étude de l'intégration de l'IA générative sur ce type de plateforme documentaire proposant un premier niveau de réponse résumé et sourcé en mode freemium. Avec la possibilité, au clic sur les références, si l'utilisateur ou son université n'est pas abonné, de souscrire un abonnement ou d'accéder à l'ouvrage ainsi.
« Le fait d'embarquer des auteurs dans un mixeur tel que peut être l'IA est difficile à faire accepter »
Quels freins avez-vous identifiés ?
Tout d'abord, il faut reconnaître que les contenus des éditeurs de livres intéressent moins les acteurs de l'intelligence artificielle que ce qui est produit par la presse. Nos volumes ne sont pas comparables, et le côté actuel des articles a une valeur plus forte que le fonds. La propriété intellectuelle est un autre frein. Elle crée un cadre plus contraignant que les accords qui ont pu être passés avec la presse. Enfin, le dernier frein est éditorial, car le fait d'embarquer des auteurs dans un mixeur tel que peut être l'IA est difficile à faire accepter.
Dans votre étude, vous avez également questionné l'interprofession. Est-elle dans la même dynamique que vous ?
Notre étude n'est pas allée jusqu'à questionner les autres éditeurs, mais nous avons pu interroger le CFC (le Centre français d'exploitation du droit de copie), qui mise beaucoup sur le fait qu'il va y avoir de gros enjeux pour les éditeurs de presse comme de livres et qui a conscience qu'il va falloir se positionner. Le SNE, de ce que j'ai compris, souhaite avancer tout en prenant certaines précautions.
Humensis est en phase de cession. Plusieurs candidats se sont manifestés. Les enjeux liés à l'intelligence artificielle pèsent-ils sur la décision ?
La reprise par un acteur du monde de l'édition pourrait nous amener à peser plus fort sur ce type de sujet, à la fois dans les contenus disponibles, les investissements nécessaires pour soutenir les développements et aussi pour garantir les justes valorisation et rémunération des ayants droit liées à cette nouvelle voie d'accès aux contenus.