"Tonnerre de Brest !". En plein Lisbonne, entre la Fondation Gulbenkian et la place Saldanha, l'œil francophile est attiré en terrain ami par l'expression du capitaine Haddock, affichée sur la vitrine de la Nouvelle librairie française. La "Nlf" emprunte à Gallimard son célèbre logotype, à une lettre près, faisant rayonner les lettres françaises dans la capitale portugaise depuis 20 ans. "Nous sommes installés ici depuis 2015", retrace Frédéric Strainchamps Duarte, qui a repris la librairie en 2007, alors qu'elle était encore installée au sein de l’Institut franco-portugais, reparti depuis vers l'ambassade de France.
Créée en mai 2004, à l'initiative de Marie-Pierre Delsol et José Pinho, également fondateur de la librairie lisboète Ler Devagar, la Nlf a désormais pignon sur rue, attirant un public diversifié composé en majorité de Portugais, mais aussi de francophones de tous horizons et de membres de la communauté française, en plein essor. "Nous travaillons beaucoup avec l'ambassade, l'Institut franco-portugais, et le lycée français situé à 15 minutes à pied", détaille le propriétaire. "Je suis né ici", raconte-t-il, montrant l'immeuble situé sur le trottoir d'en face, un ancien hôpital transformé en résidence.
"Lorsqu'il a fallu quitter l'Institut, trouver ce local a été notre chance. C'était une minute avant le boom de la spéculation ! J'ai pu signer un bail de 30 ans, ce qui n'existe plus du tout aujourd'hui", explique Frédéric Strainchamps Duarte.
La philo à l'honneur
Le lieu – un bel espace ouvert de 170 mètres carrés – abrite 10 000 ouvrages, répartis entre un petit rayon de littérature lusophone traduite, les livres d'art, le scolaire, la littérature française et étrangère, mais aussi un très grand rayon de sciences humaines et sociales. "Aucune librairie dans ce pays n'a autant de bouquins de philo", se félicite le propriétaire, pointant "la table des malheurs" en résonance avec l'actualité, marquée notamment par la montée de l'extrême droite, y compris au Portugal. Un symbole amer alors que le pays célèbre les 50 ans de la révolution du 25 avril 1974.
S'y ajoutent un vaste rayon jeunesse, animé par la libraire Anabela Almeida, une sélection en théâtre et en poésie, de la SF, ainsi qu'un rayon BD et manga. "C'est mon côté belge", sourit le libraire qui a passé son enfance à Bruxelles. Une passion que l'on retrouve en hauteur, sur les étagères, où s'alignent des miniatures tirées de l'univers de Tintin. Aux murs, les Une en parfait état du célèbre Petit journal, et des "figurado", ces sculptures en argile issues de l'art populaire portugais.
Un mélange hétéroclite fidèle aux influences de ce Franco-belgo-portugais, revenu au Portugal en 1994 pour étudier l'histoire. Sur le col de sa veste en velours, un pin's représente le visage bleu d'un humanoïde de La Planète sauvage, un film d'animation de science-fiction. Un peu ovni lui aussi, Frédéric Strainchamps Duarte n'utilise pas les réseaux sociaux et fustige "le culte de l'instantanéité" qui conduit bien des clients à commander sur Amazon.
"Faire vivre une librairie de ce type est un combat (...) Depuis que nous sommes livrés par UPS (la Centrale de l’Edition a homologué UPS-Standard comme transporteur partenaire à compter de janvier 2023, NDLR), les délais sont passés de deux à une semaine environ, mais le transport est aussi plus cher", regrette le libraire, membre de l'Association internationale des libraires francophones, appelant notamment à ce que "les grands groupes et distributeurs comprennent l'importance symbolique réelle" des librairies françaises en Europe.