Le jour d'après

Frédéric Porcile : “devenir encore plus arrangeants, plus créatifs”

Frédéric Porcile - Photo DR.

Frédéric Porcile : “devenir encore plus arrangeants, plus créatifs”

Quinzième épisode du feuilleton de Livres Hebdo "Le jour d'après"rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui, Frédéric Porcile, libraire et gérant d’Esprit BD (Clermont-Ferrand), coprésident de l’association Chez mon libraire (libraires indépendants en Auvergne-Rhône-Alpes).

Par Livres Hebdo
Créé le 13.05.2020 à 20h00

« Moi qui déteste le téléphone et qui m’arrange toujours pour avoir à y recourir le moins possible, je vais être servi ! Mon amour d’aide de camp qui sait cette aversion et filtre pour moi si bien les appels reste, comme toute l’équipe de la librairie, comme une grande partie de la planète, à la maison aux côtés des siens.

Je n’aime pas le téléphone (je ne suis pas très bon à l’oral, je passe mon temps à chercher les mots justes jusqu’à finir par bredouiller, c’est encore pire quand je ne vois pas le visage de mon interlocuteur) et c’est pourtant cet instrument de torture qui sera privilégié dans la majorité des échanges professionnels et associatifs que je vais avoir durant ces deux mois historiques (pour peu que ça ne recommence pas…). Il est vrai que les systèmes de conférence fonctionnent d’un point de vue technique plutôt bien.

Chaque début de semaine à partir du 16 mars, les cinq membres du bureau de Chez mon libraire, accompagnés de la déléguée générale de cette association qui regroupe cent soixante librairies en Auvergne-Rhône-Alpes, feront ensemble le point sur la situation observée du point de vue du monde de la librairie, et plus particulièrement depuis le miroir rétrécissant de celui de notre territoire. Et comme la vérité d’un jour ne sera que très rarement celle du lendemain (les polémiques autour de la possibilité ou non de livraisons de proximité, de mise en place ou non d’un cliquer-emporter, les prises de position divergentes de hauts responsables, etc.), nous passerons un temps fou à tenter d’y voir clair et de composer un thème constructif qui servira de socle à notre champ d’action. Celui-là s’articulera autour des missions qui incombent à notre objet associatif : l’information et le partage. Nous communiquerons beaucoup en direction des libraires, nous donnerons des pistes et des outils qui profiteront à tous et permettront de gérer les trésoreries, les équipes, le cadre sanitaire de la reprise, ainsi que notre propre stupéfaction. Les informations seront récoltées, disséquées, recoupées, instruites. Le téléphone continuera de chauffer.

Communiquer avec les clients

La compréhension que mon poste d’observation pourra m’offrir des opinions des consœurs et confrères de notre région me permettra d’affiner mon travail de libraire reclus à destination de mon propre établissement. L’échange est le moteur de la qualité. Il favorise un angle de réflexion que nous ne saurions inventer seuls. Très rapidement et en reproduisant les conclusions de notre action associative à mes fins propres, je ferai des conditions de la réouverture de ma librairie l’objectif de mon temps professionnel quotidien, réduit à une poignée d’heures au cours de ces journées d’un printemps insolent où la vie de famille prendra une place essentielle, une place que les samedis, les quelques dimanches et les fermetures tardives de la librairie avaient réduit à néant ces vingt-trois dernières années. L’enjeu sera de préparer demain, pas seulement dans le sens des précautions à envisager, mais surtout dans son aspect humain. Garder contact avec mon équipe. La rassurer quant à l’avenir. Communiquer avec les clients. Donner de nos nouvelles. En prendre. Courriers électroniques, lettres d’information, réseaux sociaux. Et comme de bien entendu, le téléphone.

Au lendemain, nous ne devrons pas remettre en question ce qui fait nos qualités et nous distingue de la vente en ligne ou de la grande distribution. Nous ne devrons pas oublier les principes d'expertise et de proximité qui font notre richesse et auront tellement manqués à nos clients pendant huit semaines. Nous ne devrons pas nous départir de nos sourires, ils se verront derrière les masques. L'heure ne sera pas à rectifier ce qui nous vaut d'exister mais à le consolider. Nous devrons multiplier les services, nous devrons devenir encore plus arrangeants, plus créatifs que nous ne l’aurons jamais été.

La fragilité de la librairie

L’échange aura été le maître- mot de ces deux mois. La télécommunication se sera substituée à la proximité. J’aurai parlé avec beaucoup de monde, pris le pouls et des initiatives. J’aurai même dialogué, au nom de Chez mon libraire, avec notre président de région dans le cadre d’une rencontre d’un certain monde de la culture avec (en ce qui concerne l’association) son principal pourvoyeur. J’aurai plaisir à l’entretenir au sujet de la fragilité de la librairie, de la crainte et des attentes des libraires. J’aurai plaisir à apprendre qu’il est collectionneur de bandes dessinées et qu’à défaut d’annoncer la création d’une enveloppe qui s’additionnerait à celles du fonds national en faveur de la filière du livre initié par le Centre national du livre, il bénéficie d’un fonds personnel de quatre mille albums. J’aurai plaisir à me surprendre à ne pas trop mal parler, mais j’aurai gagné en expérience. Ça se passerait au téléphone. »

Et vous ? Racontez-nous comment vous vivez le jour d’après, comment vous imaginez la relance de votre activité en nous écrivant à l'adresse  confinement@livreshebdo.fr
 

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