"Marché unique... Culture unique ?" : sur une question dont la réponse était évidemment négative pour les orateurs et leurs auditeurs, la Société civile des auteurs multimedia (Scam) a organisé une journée de débats au Forum des images à Paris, le 12 mars, au sujet de la réforme de la directive européenne du droit d'auteur, qui est une des priorités du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.
Fleur Pellerin, ministre de la Culture, a clôturé les échanges dans un bref discours rappelant la position du gouvernement français, en phase avec celle des auteurs et producteurs de contenus. Ceux-ci ne voient en effet aucune urgence dans cette négociation qu'ils soupçonnent manipulée par les multinationales américaines des nouvelles technologies, avides de s'emparer d'un marché libre de tout concurrent européen de taille à leur résister.
La France participera à ces négociations avec la ferme intention de renforcer le droit d'auteur, autour d'un triple objectif : assurer la diversité culturelle, favoriser la circulation des oeuvres tout en veillant à respecter la rémunération de leurs créateurs, comme l'a résumé la ministre.
La Commission veut notamment "remettre en question de la territorialité des droits, qui est liée au mode de financement des oeuvres. Nous n'accepterons pas que le marché unique se fasse au détriment de la diversité culturelle" a insisté Fleur Pellerin, soulignant que cet objectif de fluidité de la circulation peut être atteint par la voie contractuelle des discussions sur la portabilité et l'interopérabilité, souvent bloquées par les systèmes propriétaires des grands diffuseurs numériques.
"La réforme du droit d'auteur doit d'abord s'occuper du respect du droit d'auteur" a-t-elle ajouté, évoquant les propositions faites en conseil des ministres la veille concernant le renforcement de la lutte contre le piratage.
Partage de la valeur
Les débats précédant son intervention avaient été consacrés au partage de la valeur dans les nouveaux canaux de diffusion numérique, assez peu évoquée finalement sinon pour condamner les systèmes d'évasion fiscale mis en place par les quatre multinationales américaines rassemblées sous l'acronyme GAFA : Google, Amazon, Facebook, Apple. Le représentant de Google qui devait intervenir a finalement jugé prudent de ne pas venir.
Maria Martin-Prat a fait preuve de plus de courage dans la table ronde précédente : cheffe d'unité du droit d'auteur à la direction juridique des réseaux, du contenu et des technologies à la DG Culture, service administratif de la Commission européenne, elle a vaillamment tenu son rôle de punching ball dans le débat central consacré à "l'harmonisation du droit d'auteur : une nécessité ou un prétexte ?". Fonctionnaire européenne, elle est pourtant juste chargée d'appliquer une politique dont elle ne maîtrise pas la définition, prérogative de la Commission, organe politique de l'Union.
La réponse au thème de l'échange ne faisait aucun doute pour la salle et les intervenants. "Personne n'a fait l'effort de voir si cette directive de 2001 sur le droit d'auteur pose problème : son bilan n'a pas été fait, et il ne suffit pas de dire que le monde change pour ajouter qu'il faut moderniser et changer la directive. Si moderniser, c'est fournir des abonnement illimités à 4 euros, alors je ne suis pas moderne" a revendiqué Arnaud Nourry, P-DG du groupe Hachette Livre, très applaudi.
"Deux pays seulement ont adopté le numérique dans le livre, parce que les dispositifs libéraux ont permis à quelques opérateurs, dont Amazon, de casser brutalement les prix pour s'emparer de ce marché, a insisté le patron du premier groupe d'édition français. En France, on a rendu impossible le bradage des livres numériques par ces grands opérateurs, et c'est ce qui explique que le niveau du marché est inférieur, ce n'est en rien un problème de droit d'auteur. Amazon ne peut pas brader le livre numérique en France comme il le fait dans les autres pays, et il faut s'en réjouir", a-t-il poursuivi en se félicitant d'avoir contribué à élargir cette régulation au monde entier, via le contrat de mandat.
Le droit d'auteur n'entrave en rien la circulation des oeuvres, a-t-il également affirmé, jugeant que les éditeurs s'attachent au contraire à la favoriser par delà les différents bassins linguistiques, en dépit d'inextricables problèmes de réglementation fiscale et des verrous technologiques que posent notamment Amazon et Apple sur leurs appareils, qui créent pour le coup de vrais territoires fermés. "J'en ai parlé cinq fois à la Commission européenne, mais ça n'intéresse personne" a-t-il regretté.