6 mai > Roman France

Comme pour fêter à sa façon le 25e anniversaire d’Etonnants voyageurs, dont il est l’un des piliers d’origine, Gilles Lapouge s’offre une jolie fantaisie romanesque, qui a pour cadre principal Belém do Pará, en Amazonie, l’une des régions de son cher Brésil. Un pays qu’il connaît par cœur, où il a vécu et travaillé de 1950 à 1953, journaliste pour O Estado de São Paulo, quotidien dont il est resté le correspondant en France durant plus de quarante ans. C’est ce métier qui nourrit Nuits tranquilles à Belém, dont le héros et narrateur est lui-même journaliste.

Notre homme est donc venu à Belém afin de rencontrer l’historien Olacyr de Freitas, spécialiste de Blaise de Pagan, le géographe aveugle de Louis XIV qui avait néanmoins entrepris de cartographier le pays. L’histoire se situe sous le pape Jean XXIII, et le héros se présente comme un personnage cartésien. Au passage il égrène quelques souvenirs de reportages, à Oran ou à Goa, et se remémore certains épisodes de son enfance, à Digne, où il est né en 1923. Tout rationnel qu’il soit, il va se laisser embarquer dans une drôle d’aventure, à la limite du fantastique : dans un ascenseur, un gamin maigrichon, dont il apprendra plus tard qu’il a 10 ans et se prénomme Ricardo, lui saute dessus en l’appelant "Papa".

Curieusement, il ne dément pas et joue le jeu, jusqu’à l’extrême. Ricardo le "rapporte" à sa mère, Maria de Lurdes, la belle institutrice-cigarière qu’il désire, mais elle le repousse énergiquement : elle le prend bien pour son mari et le père de ses enfants, Luis Carlos, un voyou violent et coureur de jupons, poissonnier parti chercher de l’or en Guyane française et qui n’a donné aucune nouvelle durant quatre ans. Et le voici qui revient, sans prévenir et sans or. L’accueil est plutôt hostile. Les autres, en revanche, le reconnaissent et l’acceptent, et lui se fond dans son rôle. Jusqu’au jour où la supercherie sera dévoilée.

On n’en dira pas plus, bien sûr, Gilles Lapouge s’étant amusé à concocter une fin inattendue à ce livre où il mêle fiction et éléments personnels. Ainsi sa rencontre, à Saint-Malo, avec Nicolas Bouvier, et leur conversation sur les Copernic, Kepler ou Galilée : "C’est à cause d’eux, s’amuse Lapouge, qu’il n’y a plus de voyageurs et qu’à la place il y a des tripotées d’écrivains voyageurs." Dont lui-même n’est pas l’un des moindres. Jean-Claude Perrier

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