Entretien

Catherine Millet : « La fiction, ça ne m'intéresse pas du tout »

Catherine Millet à Paris - Photo OLIVIER DION

Catherine Millet : « La fiction, ça ne m'intéresse pas du tout »

Catherine Millet publie Simone Émonet, libre et grave récit de la vie et de la mort de sa mère. Rencontre avec une femme apaisée mais qui ne renie rien de ses colères, venue tard en littérature mais qui a su s'y faire une place éminente.

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Par Olivier Mony
Créé le 25.08.2025 à 12h00

Livres Hebdo : Ce « livre de votre mère », de sa vie et de sa mort, quand avez-vous su que vous alliez l'écrire ?

Catherine Millet : En fait, j'ai longtemps et pendant pas mal d'années tourné autour du pot. J'avais commencé à aborder la question de sa maladie dans Commencements. Il y avait aussi celle de son suicide. Mais je suis toujours un peu longue avant de me remettre au travail. Et puis un jour, comme je le raconte dans le livre, il y a eu ces photos d'elle pendant l'Occupation, où elle m'est apparue à la fois comme séduisante et énigmatique. C'est le vrai point de départ de l'écriture. Mais je reconnais que sans doute y avait-il chez moi une résistance. Inconsciente, mais qu'est-ce qu'on a à dire de soi face au suicide de l'autre ?

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Catherine Millet à Paris- Photo OLIVIER DION

Avec le recul, qu'y a-t-il eu de plus difficile dans la conception et l'écriture de ce livre ?

Peut-être de s'approcher le plus près possible de la vérité du moment. Il faut composer avec l'imprécision de la mémoire. C'est un processus qui est assez proche de celui de l'analyse psychanalytique.

Dans votre livre, vous vous décrivez comme pendant longtemps « capable de critiquer les conventions esthétiques ou morales de la société, mais pas encore émancipée des schémas qui structuraient depuis toujours la vie d'une famille rompue, résignée aux déboires, aux catastrophes, aux maladies ». Cette dichotomie est importante, non ?

Ça me touche que vous ayez mis le doigt dessus. Bien sûr, la question sociale est importante, surtout lorsque l'on est issue d'une toute petite bourgeoisie, ce qui entraîne une certaine forme de résignation au destin.

Votre travail semble s'inscrire dans ce vaste champ d'investigation qu'est désormais l'autofiction...

Je crois qu'on arrive au bout d'un processus qui a conduit les écrivains à parler de plus en plus d'eux-mêmes. Peut-être parce que si j'en crois par exemple la floraison de livres de cette rentrée tournant autour du rapport à la mère, on bute en quelque sorte sur les origines, sur l'essentiel. Pour ma part, je ne me sens pas tellement inscrite dans cette histoire d'autofiction. Certes, il y a à chaque fois une nécessité de construire son récit, mais aussi de retrouver une vérité brute. Au fond, la fiction ça ne m'intéresse pas du tout.

« Je pense que j'écris mieux aujourd'hui qu'avant ! »

Si vous aviez écrit Simone Émonet il y a vingt ans, croyez-vous que vous auriez fait le même livre ?

Non, parce que j'ai d'abord eu besoin d'acquérir un peu de maîtrise de ce métier d'écrivain. Et au fond, pour tout vous dire, je pense que j'écris mieux aujourd'hui qu'avant ! (Rires)

Vous avez fait votre entrée en littérature en 2001 avec La vie sexuelle de Catherine M. Vous aviez plus de 50 ans. Pourquoi avoir tant attendu ?

J'avais déjà écrit beaucoup de critique d'art avant. Mais c'est vrai, j'ai toujours été habitée par l'idée que je finirais par écrire autre chose. Je suis tout de même arrivée sur le marché de l'écriture dans un temps très expérimental. Il y avait Sollers, Guyotat... Sans doute que cela m'a un peu inhibée.

Et maintenant que cette inhibition initiale s'est dissipée, pouvez-vous dire que vous aimez écrire ou plutôt avoir écrit ?

J'aime profondément écrire. Ça se passe principalement chez moi en fin de journée. J'aime cette sensation d'être à la recherche d'un rythme qui me soulage.

Quel usage avez-vous toujours eu de la littérature, en tant que lectrice aussi ?

J'étais une lectrice précoce, sans doute parce que ma mère était une grande lectrice. J'ai lu Balzac très jeune par exemple. Très vite aussi, il y a eu les romantiques, Chateaubriand, Lamartine... Mais ma première grande découverte, ça a été Bernanos. Si je devais avoir un but dans la vie, ce serait d'écrire quelque chose comme La joie. Je suis aussi une grande lectrice de Melville. J'aime infiniment la façon dont il part de très très loin avant de vous raconter quelque chose. Mais il y a eu aussi une période de ma vie où je lisais très peu, en tout cas beaucoup moins de romans. Et c'est vrai, je n'ai jamais lu non plus beaucoup de littérature contemporaine. Même si entre 8 et 15 ans, comme tout le monde, je voulais être Françoise Sagan...

« Quand j'écris, je ne me pose pas la question de la modernité»

Est-ce que la question de la modernité, si essentielle dans l'art contemporain, a son importance pour vous en littérature ?

Vous savez, l'écrivain est très différent du critique d'art. Quand j'écris, je ne me pose pas la question de la modernité. J'écris comme ça me va bien d'écrire. Quand je lis quelque chose où je sens une volonté de « faire moderne », cela me déplaît. Même s'il y a un certain nombre d'acquis de la modernité en écriture dont je peux me servir. Par exemple, bousculer la chronologie parce que la vraie chronologie est celle de l'inconscient, jamais du conscient.

Qui sont aujourd'hui les écrivains majeurs et contemporains qui vous accompagnent dans votre travail comme dans votre vie ?

À brûle-pourpoint, je ne saurais pas vous répondre. Si, quand même, un nom. Nabokov, ses petits récits autobiographiques. En fait, pour Simone Émonet, je ne trouvais pas la bonne forme et c'est en lisant Nabokov que j'ai fini par l'avoir.

Vous vous êtes fortement engagée dans le débat public ces dernières années, notamment pour dénoncer ce qui vous apparaissait comme les dérives du mouvement #MeToo. Certaines, qui ont partagé avec vous ce combat, disent aujourd'hui le regretter. Est-ce également votre cas ?

Non, je ne regrette pas. Mais c'est vrai qu'on a tellement donné de notre personne et de notre temps dans ce combat... J'ai dit ce que j'avais à dire. De toute façon, je crois que tout ça va passer. Alors...

Catherine Millet
Simone Émonet
Flammarion
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 176 p.
ISBN: 9782080450425

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