Livres Hebdo : Comment définiriez-vous la ligne directrice de cette nouvelle édition ?
Bruno Genini : Je dirais qu’elle s’inscrit dans la continuité des précédentes, fidèle à nos engagements et à l'esprit rock’n’roll du festival. La pédagogie est toujours au cœur du projet. Le vendredi, ce sont des centaines de scolaires qui passent la porte de la Halle aux grains. Ce travail avec le jeune public est essentiel, ce sont nos futurs lecteurs et citoyens.
Aujourd’hui, nous sommes fiers de notre pépinière locale, ou, comme j’aime l’appeler, notre école blésoise. Je pense notamment à Romain Garnier, actuellement exposé à l’hôtel de ville, mais aussi à Julien Telo, dessinateur entre autres des Gorilles du Général (Casterman), qui, gamin, venait déjà au festival. En réalité, avec ce genre d’événement, on sème des petites graines et je trouve que c’est une dimension importante. J’aime ces petites histoires : il y a de l’humain, il y a du lien, et c’est un peu ce qui nous caractérise.
L’illustration jeunesse occupe une place importante dans la programmation. Comment intégrez-vous cette dimension au festival et quel rôle joue-t-elle pour le public ?
Chez BD Boum, nous adorons la bande dessinée… mais nous aimons aussi tout ce qui gravite autour. Dans certains festivals, si ce n’est pas de la BD traditionnelle, c’est presque tabou. Nous, au contraire, nous aimons quand ça déborde un peu : explorer l’illustration jeunesse, tester d’autres formes artistiques. Cela nous sort de notre zone de confort, nous fait découvrir de nouvelles choses et enrichit l’expérience de tous.
« Le festival a à cœur de s'ouvrir à d'autres genres artistiques »
Ce week-end, par exemple, nous mettons à l’honneur Julien Arnal (Armelle et Mirko, chez Delcourt) ou les planches de Léo Verrier (Navire écarlate, chez Jungle). Mais au-delà des expositions, la programmation inclut aussi des projections, comme Arco d’Ugo Bienvenu, et des conférences, comme celle sur Le Loup en Slip (Dargaud).
Et puis au-delà de la jeunesse, le festival a à cœur de s'ouvrir à d'autres genres artistiques. La musique occupe également une place importante. Je pense par exemple au concert des LEA dimanche soir qui met en musique les poèmes de Madeleine Riffaud.
Vous défendez un festival engagé. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour vous ?
Nous, on porte un projet local tout au long de l’année, dans lequel le festival vient naturellement s’inscrire. L’association est née dans la mouvance de la Ligue de l’enseignement, donc avec une vraie identité d’éducation populaire, d’engagement, avec même un côté assez militant sur les questions de société. Ce week-end, cela prend la forme d’expositions sur Mayotte ou encore sur la Loire. Cette dernière nous permet d'ailleurs à notre échelle de soutenir des structures locales, comme la Revue 303, aujourd’hui en grande difficulté financière, et plus largement de défendre le patrimoine ligérien, particulièrement touché cette année par les coupes budgétaires, comme on le voit chez nos voisins des Pays de la Loire.
« BD Boum, c’est toute l’année »
Au-delà de la programmation du week-end, BD Boum, c’est toute l’année. Nous menons des actions locales à la Maison de la bande dessinée qui fête d’ailleurs ses dix ans ! Notre mission, c’est d’apporter la culture et la lecture à tous les publics : les scolaires, les personnes détenues, les personnes en situation de handicap, etc. On travaille aussi avec le tissu associatif local : le centre social Rosa Parks, l’Université du Temps Libre, pour toucher d’autres publics plus âgés. On aime aussi ouvrir notre horizon à l’international, à travers notre partenariat avec le Maroc, par exemple, ou cette année avec Taïwan, invité d’honneur de l’édition. Les difficultés géopolitiques de l’île font d’ailleurs écho à nos valeurs de résistance.
Avec Les Rendez-vous de l’histoire en octobre, la ville de Blois compte deux évènements littéraires d'envergure. Comment se passe la cohabitation ?
Ce sont de bons camarades. Géographiquement nous sommes voisins, nous collaborons depuis des années, notamment pour le prix de la BD historique et le Café historique. Et puis le patrimoine est à l'honneur cette année, sans parler de Madeleine, résistante, à l'honneur pour cette nouvelle édition, Benjamin Lacombe et Cécile Roumiguière ont par exemple revisité La Belle et la Bête, intégrant des références à Chambord et au château de Blois.
Comment le festival a-t-il évolué au fil des années ?
Je dirais que BD Boum a progressé, notamment grâce à la Maison de la BD. Des projets y prennent vie toute l'année et je pense que cela a largement participé à renforcer notre reconnaissance auprès du public. Autrement, je pense que nous sommes restés fidèles à nos valeurs initiales. Nous tenons à toucher le public le plus large possible, familial, monsieur et madame tout le monde. Contrairement à certains festivals plus mercantiles, destinés aux initiés de la bande dessinée, nous voulons offrir une véritable découverte à ceux qui ne la connaissent pas encore. Après tout, quand on vient en festival, c’est avant tout pour s’enrichir intellectuellement.
« Contrairement à Angoulême, nous sommes membres du Club 99, qui réunit aujourd’hui 30 festivals de bande dessinée »
Le festival d’Angoulême traverse actuellement une période de turbulences. Est-ce que cela vous préoccupe pour Blois ?
Tout cela m'inspire un certain amateurisme. Angoulême, c'est avant tout des maladresses répétées depuis une dizaine d’années. Je ne sais pas si cela aura un impact sur Blois, mais nous n’avons pas du tout le même fonctionnement. Nous faisons certes face à nos propres défis financiers, mais nous bénéficions d’un soutien du ministère, via la DRAC et le CNL. Et puis, ce qui est sûr, c’est que nous, on a une ville qui nous soutient ; le projet Maison de la bande dessinée, par exemple, c’est le maire de Blois, Marc Gricourt, qui nous l’a proposé. Et puis, contrairement à Angoulême, nous sommes membres du Club 99, qui réunit aujourd’hui 30 festivals de bande dessinée dont Saint-Malo, Amiens, Bastia. Ce qui nous permet de mutualiser outils, bonnes pratiques et échanges entre organisateurs. Cette solidarité montre aussi une autre facette de la bande dessinée et rappelle qu’il existe de nombreux festivals qui font encore du bon taf.
Après 20 ans à la direction du festival, votre mandat prendra fin en 2028. Comment envisagez-vous l’avenir ?
Je ne sais pas exactement. Le jour où je quitterai la direction, il faudra repartir avec des balles neuves. L’association gardera ses objectifs, mais une nouvelle équipe pourra apporter une autre dynamique, comme on l’a vu à Coulommiers. Je ne sais pas encore comment j’imagine la suite, mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a déjà des échéances à court terme, des financements complexes et des paramètres politiques encore incertains. Une partie de l’équipe est de la même génération, donc lorsque nous partirons ce sera le début d’une nouvelle histoire.
