Avant-critique Roman

Bernardo Carvalho, "Les remplaçants" (Métailié)

Bernardo Carvalho - Photo © Julia Moraes

Bernardo Carvalho, "Les remplaçants" (Métailié)

Rentrée littéraire

Bernardo Carvalho raconte une relation père-fils sous la dictature brésilienne, dans un récit-labyrinthe où un roman que lit l'enfant se mêle à la réalité.

Parution 29 août

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 25.08.2025 à 14h00

Amazonie mon amour. Un garçon de 11 ans sujet à des vertiges depuis la séparation de ses parents se retrouve à voler au-dessus de l'Amazonie. Son père, qui pilote le bimoteur, a cru bon de l'embarquer avec lui vers cette forêt vierge qu'il exploite après avoir négocié un contrat avec les militaires. On est au temps de la dictature au Brésil à la fin des années 1960. Avec la junte au pouvoir, il y a du business à faire. À l'arrière du bimoteur, le garçon se concentre sur un gros roman de science-fiction. « C'est l'histoire d'un vaisseau qui cherche une planète où l'humanité pourra vivre », raconte-t-il à son père. Notre planète ne sera bientôt plus habitable, mais seuls les élus, les meilleurs enfants, peuvent partir, poursuit-il, sauf que le héros de l'aventure spatiale n'est qu'un enfant ordinaire, précise le petit conteur.

Comme à son habitude, Bernardo Carvalho ourdit un récit-labyrinthe, une narration dédaléenne aux fils d'Ariane multiples. Jouant d'une subtile ironie déconstructiviste, l'écrivain et journaliste né à Rio de Janeiro en 1960 aime à semer le trouble chez le lecteur. Qu'il soit question de l'identité des personnages comme dans Aberration (Rivages, 1997) ou Les initiales (même éditeur, 2002)... Qu'il s'agisse du statut du texte même comme dans Mongolia (Métailié, 2004) - a-t-on affaire à une enquête véritable, à de la narrative non-fiction, à un roman façon reportage ?... L'auteur brésilien goûte le mélange des genres, ou plutôt leur détournement. Reproduction (Métailié, 2015) avait des accents de polar ; ici, la dystopie que lit le garçon contamine les pages que nous lisons - l'odyssée futuriste se mêle au trajet en avion du père et du fils, et au séjour dans leur fazenda en terres indigènes... L'identité chez Carvalho est à jamais énigmatique, glissante ; c'est que ce par quoi elle se forge est une mémoire labile. À l'instar du jeune personnage du roman de SF en mission spatiale ne sachant pas pourquoi il est parmi ces gens d'exception, l'enfant lecteur dudit roman devenu adulte, si admiratif d'un père sans scrupule, aura oublié les motivations premières du périple en Amazonie. Déforestation, génocide des peuples autochtones... Tout en interrogeant la relation père-fils, Les remplaçants est une formidable mise en abyme du rapport que le Brésil, hier colonial, aujourd'hui capitaliste, entretient vis-à-vis de ses premiers habitants.

Bernardo Carvalho
Les remplaçants
Métailié
Traduit du portugais (Brésil) par Elisabeth Monteiro Rodrigues
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21 € ; 208 p.
ISBN: 9791022614542

Les dernières
actualités