Suffisamment inhabituelle pour être remarquée, l’acquisition par Grasset des droits internationaux du titre en langue roumaine Sfârşitul lumii e un tren (Un train vers la fin du monde – titre provisoire en français) de la romancière moldave Daniela Raţiu, en amont de la Foire de Londres, démontre l’ambition stratégique de la maison du groupe Hachette pour ce roman.
« Nous avons signé la veille de la foire », confie à Livres Hebdo Joachim Schnerf, directeur éditorial en charge de l’étranger chez Grasset. L'éditeur avait entendu parler de ce roman en début d’année, juste après sa sortie en Roumanie et a commandé un rapport à trois lecteurs.
Une approche peu conventionnelle
Juste avant le rendez-vous londonien, Grasset a donc récupéré l’ensemble des droits pour le titre avant de l'envoyer aux scouts du monde entier. Une opération qui a eu un effet de levier immédiat. « Très vite, Suhrkamp en Allemagne a fait une offre que nous avons acceptée et les éditeurs étrangers ont voulu comprendre ce qui motivait notre choix. » La maison allemande connaît déjà la romancière pour avoir publié un précédent roman, mais cet intérêt allemand suscite d'autres curiosités, selon l'éditeur.
« Je reçois des textos des Espagnols, des Néerlandais, qui cherchent des lecteurs du roumain. On sent un véritable intérêt pour cette littérature européenne », explique Joachim Schnerf. Le texte en roumain nécessite un temps de lecture plus long, permettant de trouver des lecteurs dans cette langue moins pratiquée que d’autres.

L’acquisition par Grasset ne s’est donc pas limitée aux droits de traduction en français. La maison a aussi proposé à l'éditeur Editura Cartier de s’occuper des droits à l’international, démarche plus proche du travail d’une agence littéraire que d’un éditeur traditionnel. « Cette maison roumaine est une toute petite structure, sans service dédié aux droits étrangers. Nous leur avons proposé deux options : soit nous prenions uniquement les droits français, soit nous nous occupions de la gestion mondiale des traductions », affirme Joachim Schnerf, qui voit dans cette opération un mouvement plus large de retour à l’Europe centrale et orientale.
Un roman ancré dans l’histoire européenne
« Ce livre a le potentiel de parler au plus grand nombre, en racontant une histoire singulière qui touche à l’universel. C’est exactement ce que nous recherchons », poursuit Joachim Schnerf. Ce besoin de littérature européenne est particulièrement palpable aujourd’hui. « Trop longtemps, nous avons tourné le dos à ces voix pour ne regarder que vers les États-Unis. Il y a une richesse à nos portes qui mérite d’être explorée », martèle-t-il.
Si l’ouvrage suscite tant d’enthousiasme, c’est aussi en raison de sa résonance historique et politique. Un train vers la fin du monde se déroule en 1946-1947, en pleine famine roumaine, et évoque le sort des populations fuyant la misère. « L’idée du livre est née en réaction à la guerre en Ukraine. Ce récit sur l’exode, la survie et les trains qui partent vers un avenir incertain trouve un écho profond dans notre actualité », souligne Joachim Schnerf.
Un pari éditorial ambitieux
La traduction française d’Un train vers la fin du monde est en cours et devrait être achevée d’ici la fin de l’année. La publication est prévue pour l’automne 2026 ou début 2027. Un calendrier qui pourrait s’aligner avec la parution allemande, en fonction des cessions de droits à venir.
Avec ce pari, Grasset affirme son engagement pour une littérature exigeante et engagée, prête à traverser les frontières. Un signal fort alors que l'invité d’honneur de la Foire de Francfort 2026 sera la République tchèque, avec à la clé un nouveau coup de projecteur sur la richesse éditoriale de l'Europe centrale.