Suite de la première partie. Peu de temps après le vote de la loi, les juridictions amenées à statuer sur des contentieux intentés sous le bénéfice des anciens textes ont commencé de montrer leur détermination.
C’est ainsi que la Cour d’appel de Douai a donné gain de cause, le 22 octobre 1998, aux éditions Encyclopédie Douanière, qui exploitent le
Tarif douanier français utilitaire. Les copieurs ont été notamment incapables d’expliquer valablement aux magistrats par quel hasard extraordinaire ils avaient repris dans leur édition les mêmes erreurs typographiques.
Le 28 décembre 1998, cela a été au tour du tribunal de grande instance de Lyon de condamner une société éditrice de serveurs télématiques à verser dix millions de francs de dommages-intérêts aux Éditions Législatives. Celles-ci ont en effet «
regroupé et résumé en leur Dictionnaire permanent
environ 400 conventions collectives selon une présentation thématique originale ».
L’élaboration de «
cet ouvrage (…) publié à partir des conventions collectives publiées au Journal officiel mais également en fonction de différents avenants ou accords signés entre les partenaires sociaux dans le cadre des conventions initiales, ainsi que des conventions collectives non publiées au JO
», a nécessité l’intervention, «
pendant cinq années » d’une «
équipe de juristes spécialisés ». À l’appui de ses droits, l’éditeur pillé a pu donc faire valoir un investissement «
d’une somme de 21 millions de francs », «
la création de services Internet et Minitel […] en cours représentant d’ores et déjà un investissement de 3,7 millions de francs ».
Les annuaires
La décision la plus retentissante reste celle rendue par le tribunal de commerce de Paris, le 18 juin 1999, dans une affaire concernant France Telecom. Celle-ci «
doit bien être considérée comme le producteur de l’annuaire téléphonique qu’elle exploite et (…), compte tenu du montant très élevé des investissements effectués par elle pour la constituer, celui-ci constitue une base de données protégée par la loi du 1er juillet 1998 ».
Les juges ont ainsi sanctionné les sociétés éditrices du service « 3617 ANNU » car «
il résulte manifestement des éléments fournis que les défenderesses (…) ont estimé plus simple, et surtout moins onéreux, de mettre en œuvre un comportement s’apparentant à un pur et simple "piratage" et de profiter, à peu de frais, des investissements ainsi effectués par France Telecom, sans même avoir sérieusement cherché à obtenir de cette dernière une offre commercialement viable pour exercer leur activité dans des conditions normales ». Les contrefacteurs ont donc argué en vain de la position dominante de France Telecom et ont été condamnés à lui verser cent millions de francs de dommages-intérêts.
En revanche, la cour d’appel de Paris a considéré, dans une décision également intervenue le 18 juin 1999, à propos d’un litige entre le groupe Moniteur et l’Observatoire des marchés publics : «
S’il n’est pas douteux que la publication d’annonces adressées à une revue procède de l’audience qu’a acquise depuis des décennies cette revue dans le secteur professionnel du bâtiment et des travaux publics, (…) le groupe de presse ne justifie pas d’investissements substantiels dans leur obtention, leur vérification et leur présentation, (…) il ne démontre pas engager de frais de promotion auprès des annonceurs, ne vérifie pas les annonces, ne peut pas se prévaloir d’un travail onéreux de formalisation. » La juridiction en a conclu que «
tout conduit en réalité à estimer que la publication des annonces, même si elle implique des charges, n’est pas au premier chef un objet d’investissement – à plus forte raison d’investissements substantiels – mais au contraire, grâce à la perception des frais d’insertion, une activité lucrative et profitable en elle-même ». En conséquence, le groupe de presse n’a pas pu valablement revendiquer le bénéfice des nouveaux textes
.La numismatique
Pour en revenir au litige plus récent sur les ouvrages de numismatique, en appel, était donc discutée à nouveau la protection spécifique de producteur de base de données.
L’éditeur essayait de «
rapporter la preuve d’investissements substantiels expose que la constitution de la base de données remontant à une vingtaine d’années », alors qu’ «
il lui est difficile de fournir des données comptables précises » et « reconnaît que les factures (…) sont relatives à des prestations de maintenance mais soutient qu’elles portent sur la base de données dont elle se prévaut ».
Il produisait «
un acte de cession en date du 29 octobre 2013 constatant l’acquisition » d’une société «
ayant pour objet notamment le commerce de livres anciens et modernes, toutes opérations de numismatiques » ; mais, «
il ne s’ensuit pas qu’il y aurait eu transmission de patrimoine et en tout état de cause il n’est produit aucun élément sur la consistance du patrimoine prétendument transmis et donc sur la base de données revendiquée ».
Les magistrats soulignent que «
l’examen des factures produites démontre qu’elles ont pour objet la création de sites internet (…) et leur maintenance annuelle.»
La maison d’édition «
fait état de 23 collaborateurs » dont un «
spécifiquement attaché aux monnaies françaises modernes ». Les juges retiennent toutefois qu’ «
elle n’apporte aucun élément permettant à la cour d’apprécier les tâches confiées à celui-ci alors qu’elle ne conteste pas avoir une double activité, l’achat et la vente de monnaies, d’une part, l’édition d’ouvrages, d’autre part. »
Et de conclure, «
en tout état de cause elle ne justifie d’aucun salarié qui serait intervenu pour la mise à jour de la base de données de l’ouvrage (…) dans sa version numérique et dans sa réédition classique, la dernière (…) ayant été éditée en 2009 ni en interne, ni par des prestataires externes.»
C’est ainsi «
donc à bon droit que les premiers juges ont dit que la société (…) ne pouvait prétendre à la protection légale de producteur de base de données. »
La photographie
La déroute est sévère puisque, par ailleurs, la cour juge que les photographies reprises ne montrent pas «
un effort créatif individuel photographie par photographie ». Elles ne sont donc considérées comme éligibles à la protection par le droit d’auteur.
Enfin, La société d’édition agissait aussi sur le fondement des actes de concurrence déloyale et parasitaire
Or, pour les juges, «
les ouvrages sont parfaitement distincts, leur titre et leur présentation sont différents. Ils se distinguent aussi dans leur organisation et dans leur contenu ». Ils précisent que le collectionneur «
a choisi de traiter les données dans l’ordre chronologique, ce qui n’est pas l’ordonnancement choisi » par l’éditeur professionnel.
De plus, «
si les ouvrages contiennent des données relatives aux productions monétaires et à l’état des pièces, ce sont des données scientifiques, purement techniques. En conséquence la société (…) ne démontre pas que les ouvrages (litigieux) pourraient être confondus avec le sien, ni que celui-ci se serait approprié son travail. C’est donc à bon droit qu’elle a été déboutée de ses demandes par les premiers juges ».
La leçon est dure et montre qu’
il est capital, pour un éditeur, de conserver la trace de ses investissements, tant le droit des bases de données, annoncé à son instauration comme un palliatif pour lutter contre d’habiles piratages, est exigeant.