Transe napolitaine. Un grand musée est un organisme vivant, comme une machinerie qui s'use, nécessite de l'entretien, des soins, voire des travaux de réparation qui exigent sa fermeture, parfois pour de longues périodes. À Paris, c'est le cas actuellement du Grand Palais (jusqu'en 2025), cela va être bientôt celui de Beaubourg (de 2025 à 2030). Or, durant ces intervalles, une question se pose : que faire des collections, des expositions prévues ? De plus en plus, les musées organisent donc des « hors les murs », histoire de faire patienter le public, et aussi de ne pas laisser les caisses tout à fait vides.
Voilà la raison de l'invitation faite par le Louvre à son homologue le Museo e Real Bosco di Capodimonte, qui domine Naples depuis sa construction par les Bourbons en 1738, et abrite aujourd'hui des collections tout à fait exceptionnelles, notamment de peinture italienne. À noter qu'à Naples, les plus importants musées, Capodimonte et San Martino, ne se trouvent pas au centre de la ville mais en périphérie. Seule exception, le Musée archéologique national. Mais à Naples, plus encore qu'à Paris, l'art est partout, dans les palais, les églises, les rues, parmi le peuple.
Le présent livre est bien plus que le catalogue de la soixantaine de chefs-d'œuvre exposés au Louvre au sein de ses collections permanentes du 7 juin 2023 au 8 janvier 2024. D'une part, il raconte l'histoire de Capodimonte, dont son directeur général, Sylvain Bellenger, un Français, fait remarquer fort justement qu'il est l'un des trois seuls palais royaux au monde transformés en musées, avec l'Ermitage de Saint-Pétersbourg et le Louvre, justement. Cette invitation fait donc doublement sens.
D'autre part, la littérature se trouve mise particulièrement à l'honneur dans ses pages. On ouvre avec Stendhal, qui écrivait en 1826 à propos de Naples : « cette ville, la seule d'Italie qui ait le bruit et le ton d'une capitale », et l'on ferme sur un texte de Pasolini de 1956 : « Cette nuit-là, au lieu d'aller dormir, j'ai erré dans Naples comme un fou... » Du côté des contemporains, Erri de Luca, le plus français des Napolitains, raconte : « Dans mon enfance, Naples était une ville du Sud, non pas celui d'Italie, mais du monde. » Elle l'est restée. Quant à Dominique Fernandez, le plus napolitain des Français, il affirme d'expérience : « On ne naît pas napolitain, on le devient. »
Quant aux tableaux, le choix est éclectique, et d'une beauté volontiers convulsive : La flagellation du Christ du Caravage (1607), Judith décapitant Holopherne, d'Artemisia Gentileschi (1612-1613), ou encore le Saint Sébastien de Mattia Preti (vers 1656), totalement en extase et même pas blessé... À la fin, comme un clin d'œil, le Vesuvius d'Andy Warhol rappelle la fragilité toute particulière de Naples, qui vit au pied d'un volcan. D'où sa folie, sa transe, ce carpe diem avant que ne survienne la fin du monde, si en phase avec notre époque. Précipitons-nous voir ce Louvre enrichi, où La Joconde va peut-être se voir un temps éclipsée.
Gallimard/Louvre éditions
Tirage: 13 000 ex.
Prix: 42 € ; 320 p.
ISBN: 9782073013088