17 NOVEMBRE - CORRESPONDANCE France

Que lit-on dans les lettres d'Aragon à André Breton ? L'histoire d'une amitié nouée au coeur de la Grande Guerre entre deux adolescents admirateurs de Rimbaud, et rompue quinze ans plus tard par deux écrivains aux prises avec la politique. On y lit les déclarations enflammées d'un jeune homme enthousiaste et admiratif quand, en 1917, Breton le mène auprès d'Apollinaire et de Valéry ; on y voit un an plus tard un médecin auxiliaire se jeter à corps perdu dans Les chants de Maldoror pour oublier les tranchées, les cadavres et les gaz. On y entend le cynisme douloureux de celui qui ne lèvera le silence sur le front que près de quarante ans plus tard dans Le roman inachevé - "Pardonne le papier froissé, un bombardement subit me chasse du boyau » - et la plainte ambiguë d'un amant délaissé si Breton tarde trop à lui répondre : "Est-ce que je suis jaloux ? Tu m'échappes." On y assiste à la naissance du surréalisme, de l'écriture automatique - "J'ai voulu essayer un procédé de collages analogue à celui de Braque" -, mais aussi d'une oeuvre littéraire qui dépasse le cadre dada. On y trouve aussi, par conséquent, des invectives violentes envers celui qui, de protecteur, est devenu un chef autoritaire : "Je sais bien que tu peux me tuer. [...] Entendons-nous : il n'est qu'une mort que je crains, la mort physique. La littéraire, va te faire foutre", mais aussi des dessins, des jeux de mots, des poèmes. On y sent la révolte tour à tour joyeuse et désespérée des années d'après-guerre contre la famille et la littérature, on y voit se lever le soleil du communisme russe, exaltant et déjà douloureux lorsque les surréalistes français doivent signer des déclarations préécrites qui leur imposent de prendre leurs distances à l'égard de Légitime défense, essai de Breton publié en 1926. "Je l'ai donc retournée signée. Sinistre éveil d'une ère nouvelle comme dit l'autre." On y voit vivre un homme solitaire et génial, si lointain de l'image qu'on garde de lui lorsqu'il envoie telle carte postale accompagnée d'une caricature de Daudet : "Reviens. Ramène Francis Picabia. On s'emmerde." On y lit, en somme, la jeunesse et la maturation intellectuelle de l'immense écrivain qui commence par s'adresser à son "très cher », et qui finira par l'appeler "cher enfant »...

Breton n'a jamais autorisé la publication de sa correspondance ; c'est donc un autoportrait que dessinent ces 170 lettres écrites de 1918 à 1931, accompagnées d'un riche appareil de notes et d'une introduction circonstanciée. A tous ceux qui ont aimé lire Aragon, à tous ceux qui se sont enthousiasmés pour le surréalisme, à tous ceux qui ont eu des amis et à tous ceux qui ont eu une jeunesse, Lionel Follet offre ici un document scrupuleusement établi, chronique intime qui ressemble aux Poèmes à Lou et aux Liaisons dangereuses, et qui jette une lumière nouvelle sur une des rencontres les plus fructueuses et les plus fascinantes du XXe siècle littéraire.

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