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Au Québec, les auteurs veulent une entente avec les éditeurs

Laurent Dubois, directeur général de l'UNEQ - Photo UNEQ/Laurent Dubois

Au Québec, les auteurs veulent une entente avec les éditeurs

Depuis des années, l'Union des écrivaines et des écrivains québécois souhaite modifier la loi sur le statut des auteurs pour contraindre les éditeurs à s'asseoir à la table des négociations. Le gouvernement de la province a acté le principe d'une révision, mais la bataille ne fait que commencer.
 

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Par Nicolas Turcev,
Créé le 25.02.2021 à 21h02

"Si les choses doivent changer, c'est maintenant". Le directeur général de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois (Uneq), Laurent Dubois, place tous ses espoirs dans la révision en cours de la loi sur le statut professionnel des artistes, qui régit les contrats avec les diffuseurs dans la province canadienne. Le texte, vieux de 32 ans et seulement amendé à la marge entretemps, est jugé "vide de sens et d'intérêt" par l'association, qui l'estime insuffisant pour créer les conditions d'un véritable statut.

Le 30 janvier, plus de 1200 écrivains, dont les stars québécoises Michel Tremblay, Gilles Vigneault ou encore Suzanne Aubry, ont signé une pétition pour demander au ministère de la Culture du Québec d'établir un "cadre juridique clair et solide [pour les auteurs], indispensable à la survie et à l'essor de la littérature". Cette prise de parole fait suite à la reprise des consultations en ligne, en novembre dernier, pour faire évoluer la loi sur le statut des auteurs.

La ministre actuelle de la Coalition avenir Québec (centre-droit), Nathalie Roy, poursuivait ainsi l'initiative amorcée par sa prédécesseure libérale, Marie Montpetit. Lors de l'annonce de son plan culturel quinquennal, en 2018, l'ancienne membre du gouvernement soulignait que "le travail artistique et culturel se caractérise souvent par la précarité d’emploi, le cumul de statuts et la combinaison de plusieurs modes de rémunération. Encore aujourd’hui, de nombreux créateurs n’arrivent pas à vivre de leur art", dont les auteurs. D'après l'Uneq, le revenu médian tiré de la création littéraire était inférieur à 3000 dollars (1965 euros) par an en 2017, un chiffre qui stagne depuis 1991.

Chaise vide

Pour le collectif, cette révision attendue depuis des décennies constitue l'occasion rêvée de faire progresser la condition et la structuration de la profession d'auteur, au point mort depuis plus de 30 ans au Québec: "La principale disposition de cette loi est qu'elle nous permet, en tant qu'association représentante des écrivains québécois, de signer des ententes collectives avec les éditeurs. Mais elle n'oblige personne à prendre part au dialogue social. Résultat, les éditeurs refusant de s'asseoir à la table des négociations, aucun accord n'a été signé et aucun contrat type n'a été promulgué".

Cette politique de la chaise vide, l'Association nationale des éditeurs de livres (Anel), qui regroupe 115 maisons, l'explique simplement : "Aucun de nos membres n'a donné mandat à notre organisme pour négocier des ententes ou des contrats types, explique la directrice de l'association, Karine Vachon. Surtout, nos adhérents considèrent qu'un contrat peut être très différent selon le genre de livre dont il s'agit, que ce soit du pratique, du scolaire, de la littérature, etc... Un contrat type n'aurait pas beaucoup de sens". Face à cette fin de non-recevoir, l'Uneq se voit contrainte de "parler dans le vide", aucun autre organisme que l'Anel ne représentant les éditeurs québécois dans leur diversité.

Une loi archaïque

Faute de dialogue social, la loi de 1988 n'a quasiment pas évoluée depuis sa promulgation, et ce malgré les évolutions du marché. "Aucune référence n'y est faite au livre numérique", déplore par exemple Laurent Dubois, alors que la plupart des pays occidentaux ont, ces dernières années, signé ou promulgué des accords interprofessionnels pour définir les conditions d'exploitation de ce nouveau format.

Le périmètre des cessions de droits sur les œuvres futures ou dérivées, peu encadré par la loi, pose également problème. "Certains contrats prévoient des cessions de droits pour le monde entier sur l’œuvre en question et les œuvres futures, pour une durée indéterminée, assure Laurent Dubois. Cela s'appelle déposséder l'écrivain de sa propriété."

"Le problème, finalement, c'est que l'écrivain se retrouve tout seul face à l'éditeur pour aller négocier son contrat, poursuit le responsable. Les maisons d'édition sont de plus en plus grosses au Québec, où les grands groupes se renforcent via des acquisitions. Le rapport de force est complètement déséquilibré."

Afin de renverser la vapeur, l'Uneq souhaite que le gouvernement transfère les auteurs dans la loi qui régit le statut des artistes de l'audiovisuel et du spectacle vivant, dont les dispositions imposent la conclusion d'ententes collectives et instaurent un filet social. "Cela contraindrait les éditeurs à reconnaître que le lien qui nous unit est une relation de travail et non une simple relation commerciale", remarque Laurent Dubois.

Des éditeurs fragiles et subventionnés

Du côté de l'Anel, Karine Vachon assure se préoccuper des conditions socio-économiques des auteurs, "mais aussi de celles de l'ensemble de la chaîne du livre". Dans un mémoire remis au ministère de la Culture dans le cadre de la révision de la loi sur le statut des auteurs, l'association souligne la fragilité des éditeurs québécois. Près de la moitié des membres de l'Anel affichent un chiffre d'affaires annuel de 250000 dollars canadiens  (164000 euros) ou moins et les salaires "sont assez petits comparés à d'autres secteurs culturels ou industriels", souligne la directrice.

"La fragilité de l'édition québécoise est réelle, le lectorat francophone étant assez limité, confirme Anthony Glinoer, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'histoire de l'édition de l'Université de Sherbrooke. La grande différence avec la France repose dans le fait que les éditeurs dans la province sont davantage soutenus par des subventions. Ce qui leur permet de tenir et d'assurer la vitalité du secteur. Cependant, je ne suis pas certain que les revendications des auteurs, notamment sur la hausse des droits, menacent de faire couler les maisons."

Le partage de la valeur pose question

Tout comme les associations d'auteurs en France, l'Uneq souhaite en effet que la loi ou un accord cadre puisse garantir un minimum de 10% de droits d'auteur perçus sur chaque ouvrage vendu. "Je ne sais pas si c'est suffisant. Mais aujourd'hui, comme on le constate dans les contrats de nos adhérents, ce montant plancher n'est pas garanti", avance Laurent Dubois.

"Il est vrai qu'en bout de ligne, quand on ne vend que 1000 exemplaires d'un livre, il ne reste pas grand chose pour l'auteur, concède Karine Vachon. Mais la petitesse du marché québécois fait qu'il est difficile pour les auteurs de vivre de leur plume". L'Anel tient néanmoins à rappeler que les versements de droits d'auteur des éditeurs francophones ont augmenté de 13% entre 2013 et 2020, selon les données du Fonds du livre du Canada, pour s'établir à 37,8 millions de dollars sur l'exercice 2019-2020.

Plutôt que la hausse des droits d'auteur, "l'enjeu majeur est la hausse du nombre de lecteurs", assure Karine Vachon. La responsable défend la mise en place d'une large campagne de sensibilisation à la lecture et de promotion du livre, ainsi que le déploiement d'une politique visant à réduire l'analphabétisme fonctionnel (l'incapacité à comprendre des concepts complexes) au Québec, évalué à environ 20% chez les 16 à 65 ans selon l'OCDE. "Les auteurs ainsi que toute la chaîne du livre profiteraient de cet accroissement du lectorat", prophétise la directrice. Encore faut-il que les écrivains puissent prétendre à en récolter les fruits.
 

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