Avant-critique Essai

Anne-Laure Porée, "La langue de l'Angkar. Leçons khmères rouges d'anéantissement" (La Découverte)

Le site de S21, devenu un musée. - Photo © Porée 2008 Visiteur

Anne-Laure Porée, "La langue de l'Angkar. Leçons khmères rouges d'anéantissement" (La Découverte)

Anne-Laure Porée analyse la langue du régime de Pol Pot à travers les archives du procès de l'une de ses figures sanguinaires, Duch, directeur de la prison S21.

Parution 20 février

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Par Sean Rose
Créé le 19.02.2025 à 14h00

Novlangue khmère rouge. Auschwitz, Hiroshima... Certains noms de lieux résument à eux seuls toute l'horreur d'un système politique, tout l'effroi face à une déflagration apocalyptique. Ici, un bâtiment à Phnom Penh, capitale du Cambodge, désigné par une lettre et un chiffre, est la synecdoque du régime génocidaire des Khmers rouges. Le centre de détention et de torture S21 incarne de manière glaçante l'idéologie de l'Angkar padevat (« Organisation révolutionnaire »), le parti dirigé par Pol Pot. Aujourd'hui musée de la mémoire du génocide cambodgien, dont le nombre de victimes est estimé à environ deux millions (un quart de la population décimé en l'espace de quatre ans), S21 avait été un lycée avant d'être transformé en prison. Tout un symbole. L'un de ses enseignants, Duch, en fut le responsable, qui mena avec un zèle sanguinaire les interrogatoires contre les ennemis suspectés du régime, à savoir tout le monde... Pour mémoire : les Khmers rouges, mouvement révolutionnaire maoïste, prennent le pouvoir le 17 avril 1975 et instaurent le -Kampuchéa démocratique vidant la capitale de ses habitants. L'égalité radicale est décrétée, chacun est envoyé travailler dans les champs. Plus de bourgeois, morts aux intellectuels ! Mains lisses et port de lunettes sont des indices de haute trahison... Dans le centre d'extermination dirigé par Duch entre 1975 et 1978, près de 20 000 « ennemis du régime » succombent aux méthodes de leurs bourreaux.

Le cahier noir du directeur de S21 condamné pour crimes contre l'humanité en 2010 est le sujet du livre d'-Anne-Laure Porée, La langue de l'Angkar. Leçons khmères rouges d'anéantissement. L'archive présentée au procès de Duch est le vade-mecum du tortionnaire et contient le nouveau catéchisme de la révolution voulue par Pol Pot. Comme toujours dans le totalitarisme, plus de dissension, tout doit être dachkhat, « absolu » ! Aussi s'agit-il de « cultiver », comprendre « rééduquer », quitte à samrok, « enfoncer » par la coercition les directives du parti ; de « trier », à savoir tfeu tironakam, « faire de la torture »... mais pas avant d'avoir exercé des pressions psychologiques et sans oublier de « presser le côté politique » tout en agonissant d'injures la personne soumise à l'interrogatoire ; de « purifier » le corps social (y compris révolutionnaire), soit « anéantir ». À l'instar du philologue allemand Victor Klemperer qui fit dans LTI, la langue du IIIe Reich l'exégèse de la propagande nazie, l'autrice de ce nouveau titre de la collection « À la source » à La Découverte décortique cette novlangue khmère rouge afin de démontrer en quoi l'abomination perpétrée n'aura été qu'une mise en pratique d'une idéologie véhiculée par le verbe révolutionnaire même.

Anne-Laure Porée
La langue de l’Angkar. Leçons khmères rouges d'anéantissement
La Découverte
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 € ; 256 p.
ISBN: 9782348086427

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