Entretien

Anne Hautecoeur (La Musardine) : "Les femmes portent le renouveau de l'érotisme"

Anne Hautecoeur, La Musardine - Photo Olivier Dion

Anne Hautecoeur (La Musardine) : "Les femmes portent le renouveau de l'érotisme"

Depuis 25 ans, les éditions de La Musardine entretiennent la machine à fantasmes. Rattachée à la librairie du même nom, la maison fait office de thermomètre de la littérature érotique. Longtemps dominé par le classicisme masculin, le secteur opère sa mue féministe avec l'arrivée d'auteures et de leur propositions formelles plus inventives. Pour la Saint-Valentin, la directrice de La Musardine, Anne Hautecoeur, parle à Livres Hebdo.

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Par Nicolas Turcev,
Créé le 14.02.2021 à 11h02

La Saint-Valentin est-elle un moment important pour La Musardine ?

Assurément. Il n'y a pas énormément d'événements sur lesquels nous pouvons communiquer et dont nous pouvons profiter au niveau de notre spécialité, donc la Saint-Valentin représente une petite occasion. Nous essayons de sortir des livres qui peuvent s'y prêter en janvier et tout début février. Par exemple, nous avons fait paraître fin janvier un petit livre sous forme de carnet de gages érotiques avec des bons détachables. Nous n'avons pas les moyens de démultiplier notre programme, mais nous essayons de trouver des titres qui peuvent faire office de cadeaux. Nous réalisons également une sélection de titres pour la transmettre à notre diffuseur, qui la propose aux librairies afin de faire des mises en avant. Et ça marche, puisqu'un certain nombre de boutiques suit encore le mouvement de la Saint-Valentin, si décrié soit-il. Enfin, naturellement, notre librairie bénéficie d'une belle mise en place avec une jolie vitrine.

La Saint-Valentin est cette fête qui allie romance et érotisme. Qu'en est-il en littérature ?

Les publics ne sont pas les mêmes. Des lectrices de romance ne vont pas aller lire des livres de La Musardine, qui sont à tonalité purement érotique. Nous avons déjà tenté de mettre en place un rayon romance dans notre librairie, avec des titres de chez Hugo, comme la série After par exemple, mais cela n'intéressait pas nos lecteurs. Nous sommes une librairie spécialisée, donc les gens ne poussent pas nos portes par hasard. Ils viennent spécifiquement chercher de l'érotisme plutôt que des ouvrages de romance qu'ils peuvent trouver partout ailleurs.

Peut-on isoler des profils types de lecteurs ?

Sur la romance, on se trouve plutôt sur un lectorat très féminin et jeune, entre 20 et 40 ans, tandis que sur l'érotisme le lectorat est plus diffus, parce qu'il a évolué avec le temps. Au départ, et pendant très longtemps, notre lectorat traditionnel était essentiellement composé d'hommes d'un certain âge. Mais ces dernières années nous nous sommes rendus compte qu'il s'est ouvert à beaucoup plus de jeunes femmes et de couples. C'est en tout cas ce que je vois au sein de notre librairie, parce que nous n'avons pas les moyens de réaliser une étude de marché sur notre lectorat. Le corollaire de ce phénomène, c'est que nous publions de plus en plus d'auteures. Il y a clairement une tendance d'ouverture de la littérature érotique aux femmes.

Qu'est-ce que cette évolution a apporté à la littérature érotique ?

Un véritable renouveau, au niveau de la forme, notamment. A l'époque du lectorat masculin, les schémas stylistiques et narratifs étaient plus classiques et ont formé une sorte de canon du roman érotique. En revanche, parmi les textes de femmes que nous avons publié ces dernières années, on trouve plus de nouvelles ou de formats courts, qui sont vraiment plébiscités par les lecteurs. Je pense aux textes d'Octavie Delvaux ou à La prédiction, issu d'un compte instagram. Un de nos récents titres, Il est 14h j'enlève ma culotte de Zoé Vintimille, propose des courtes notules. Il y a davantage de jeu et de travail sur la mise en page, et même de recherche formelle en général.

Voit-on apparaître dans la littérature érotique des relations entre personnes qui ne s'identifient pas à un genre ?

La question du genre est abordée dans un certain nombre d'essais, mais pas encore dans la fiction. Ce serait pourtant intéressant, car d'un point de vue érotique, il y aurait des choses très chouettes à faire. Comme ce sont des questions qui sont encore relativement naissantes dans la société, il faut du temps pour que la littérature s'en empare, a fortiori en littérature érotique.

Quel effet a eu la crise sanitaire sur votre secteur ?

Comme pour d'autres librairies, lorsque nous étions tous persuadés, il y a deux semaines, que nous nous dirigions vers un nouveau confinement, beaucoup de lecteurs sont venus faire des provisions de livres. En outre, nous avons un certain nombre de clients qui peuvent fréquenter des soirées libertines et qui sont un peu désolés que ce ne soit plus vraiment possible. Peut-être viennent-ils chercher cette matière dans les livres, bien qu'à mon avis cela reste anecdotique. Le livre érotique peut, en tout cas, permettre de vivre certaines sexualités différemment parce que cela devient moins facile dans la vie réelle.

Instagram semble avoir pris une place de plus en plus importante pour dénicher des projets sur votre secteur...

Il s'agit d'un média essentiel pour faire du repérage. J'y trouve une forme de créativité que je n'avais pas connu depuis très longtemps, que ce soit dans l'illustration ou la photographie, voire même en termes d'écriture.  Cela a ouvert beaucoup de possibilités dans le domaine de la littérature érotique, et encore plus au niveau de la sexualité. Maintenant, ce repérage comporte son lot de risques aussi, puisqu'il y a la tentation de signer un compte qui marche très bien, avec une communauté forte. Mais Instagram, ce n'est pas un livre. La transposition n'est pas aussi simple que ça. Il peut y exister des choses très séduisantes qui fonctionnent sur un format court et immédiat, mais qui se prêtent finalement assez peu au livre. N'est pas Amours solitaires (Albin Michel, 2018) qui veut.

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