L'ombre, c'est un peu la spécialité de Pierre Assouline. C'est là où la lumière est confisquée, comme la vérité. D'ailleurs pourquoi tout dire à son lecteur ? Si on écrit, c'est justement pour ne pas tout dire. Et que peut-on vraiment savoir de ce Georges Pâques ? Un nom qui sonne comme une résurrection mais qui restera opaque comme un tombeau.
Georges Pâques, donc. Normalien, résistant, catholique, gaulliste, pro-Algérie française et anticommuniste. Un haut fonctionnaire gris comme les zones qu'il affectionne. Et compliqué. Pendant vingt ans cet homme de cabinet, qui finit à l'Otan, transmet des dossiers secrets au KGB. En 1963, il est démasqué. Il avoue, se justifie, évite le peloton d'exécution et passe sept années en prison.
Le narrateur d'Une question d'orgueil le retrouve dans les années 1980. Il veut écrire "l'impossible biographie d'un espion". Il rencontre Pâques, enquête en France, en Russie, et il se perd. "Cette quête, c'est peut-être l'histoire d'une biographie qui se fait sur un homme qui se défait."
Pourquoi cette trahison, cette "infidélité qui nous révèle à nous-même" ? La réponse passe par l'orgueil. Pâques est peut-être "un agent double de lui-même", mais il n'est pas dupe. Alors quoi ? Pierre Assouline lève un coin du voile dans ce roman aux saveurs troubles. On y croise des politiques, des journalistes, des femmes russes, des espions qui viennent du froid et des troisièmes hommes dans la France de de Gaulle et de Pompidou.
"Le monde est plein de personnages de romans à la recherche de leur histoire." Pierre Assouline ne lâche pas le sien, tout en se délectant des repères qui se brouillent. Normal, avec un homme de l'ombre. "La fiction prend le relais de la biographie quand l'exactitude ne suffit plus à la manifestation de la vérité."
Une question d'orgueil est aussi un roman sur la vanité du biographe saisi par le démon de l'exhaustivité. Pâques est un peu l'archétype des personnages auxquels Pierre Assouline s'est intéressé comme historien : des éminences grises titillées par l'orgueil de la lumière. Eh oui, si nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches...