Deux ans après sa mort (à Londres, le 11 août 2018), voici un court inédit de V.S. Naipaul, qui paraît chez un jeune petit éditeur franco-suisse, Herodios. Volume modeste par le nombre de pages, mais important et qui intéressera tous les aficionados du prix Nobel de littérature 2001, car c'est le tout dernier texte de l'écrivain, aussi considérable que contesté, et qu'il revêt donc des allures testamentaires.

Le sujet en est le deuil, ou plus exactement le chagrin que l'on ressent à la mort d'un proche. Mais qu'on ne s'attende pas, de la part de notre homme, plus british que les Anglais quoique né à Trinidad-et-Tobago (en 1932), à des épanchements. Tout en se voulant personnel, voire intime, on est quand même dans le « never explain, never complain » du parfait gentleman. Ce n'est pas un hasard : citoyen britannique depuis 1952, Sir Vidia a été anobli par la reine Élisabeth en 1990, l'année même où il publiait son grand livre indien, L'Inde, un million de révoltes, qui ne lui a pas valu que des amis. Salman Rushdie, entre autres, détestait Naipaul.

Mais ce Grief (en V.O.) est un texte bien curieux. Naipaul y relate les trois deuils qui l'ont, semble-t-il, le plus affecté. Celui de son père, journaliste reconnu au Guardian de Trinidad qui, à la suite de son premier infarctus et de sa mise en « demi-solde », s'était lancé dans l'écriture de nouvelles humoristiques. Le fils en a d'ailleurs lues avec succès dans Voix de la Caraïbe, l'émission qu'il animait sur la BBC. Naipaul père est mort en 1953, léguant à son fils un vase en laiton indien traditionnel.

Trente-deux ans après, c'est son frère cadet Shiva, écrivain lui aussi, qui décède suite à des problèmes d'alcoolisme. Mais on n'en saura pas plus. Ce deuil-là est expédié en quelques lignes. On apprend juste que le chagrin de V.S. Naipaul a duré deux ans.

Plus étonnant, son troisième deuil (et celui de sa seconde épouse Nadira, redoutable cerbère) a lieu quand leur chat, Augustus, meurt après avoir subi moult accidents, maladies (dont le sida félin), blessures. Neuf vies vécues en dix ans, selon la croyance. Et Naipaul s'offusque que l'animal ait été enterré, et non incinéré, selon le rite hindou.

Malgré qu'il en ait, l'Inde, chez lui, n'était jamais loin. C'était même, selon l'écrivain-voyageur américain Paul Theroux, qui l'a bien connu depuis 1966 et ajoute à ce livre ses Souvenirs de V.S. Naipaul, « le sujet de toutes ses obsessions ». Les rapports entre eux deux, le second (né en 1941) étant un fervent admirateur du premier, dont il avait lu tous les livres, n'ont pas toujours été simples. Naipaul était orgueilleux, mégalo, « brutal » (avouait-il lui-même), provocateur, insupportable. Ils ont même été brouillés dix ans. Mais Theroux, au final, témoigne de sa ferveur, de son respect. Voyageant ensemble au Rajasthan, face à un petit garçon des rues triste, Naipaul avait dit à Theroux : « Je me vois dans cet enfant. » Pour cette seule phrase, on lui pardonne tout.

V. S. Naipaul
Étrange est le chagrin Traduit de l'anglais par Béatrice Vierne
Hérodios
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 10 € ; 44 p.
ISBN: 9782940666201

Les dernières
actualités