Congrès de l'ABF 2025

« Vous, bibliothécaires de France, pouvez faire connaître l’horreur qui nous arrive aux États-Unis »

Amanda Jones et Sam Helmick, représentantes de l’ALA - Photo Fanny Guyomard

« Vous, bibliothécaires de France, pouvez faire connaître l’horreur qui nous arrive aux États-Unis »

Pour son congrès sur le thème de l’esprit critique, l’Association des bibliothécaires de France a invité deux représentantes de l’association des bibliothèques des États-Unis, Amanda Jones et Sam Helmick. Cette dernière en prendra la présidence le 1er juillet. Devant l’assemblée, les deux femmes ont abordé les pressions éditoriales et financières que vivent les bibliothèques américaines, et les différentes manières de les surpasser.

J’achète l’article 1.5 €

Par Fanny Guyomard
Créé le 13.06.2025 à 12h32 ,
Mis à jour le 13.06.2025 à 15h51

Livres Hebdo : Qui cherche à censurer les bibliothèques états-uniennes, et quelle est leur stratégie ?

Amanda Jones : Les bibliothèques situées dans les Red States (les États qui votent majoritairement pour le parti Républicain), sont attaquées par des groupes extrémistes qui bannissent des livres. Ces ouvrages ont souvent des personnages ou sont l’oeuvre d’auteurs noirs ou de la communauté LGBT — comme All boys aren’t blue de George M. Johnson ou Gender Queer : a memoir de Mais Kebobe. La tactique de ces groupes : lire un extrait d’un de ces livres, coupé de son contexte, et diffuser sur les réseaux sociaux la rumeur affirmant que son contenu est inapproprié. Ils ont par exemple raconté que j’enseignais aux élèves fréquentant ma bibliothèque scolaire comment avoir des relations sexuelles, ou que je donnais du porno aux enfants. Autant vous dire que ça a nui à ma réputation dans la ville… Ils ont ensuite essayé de me renvoyer. Et mon cas n’est pas unique, cela arrive dans tout le pays. Quant aux politiciens, ils cherchent à privatiser les bibliothèques publiques et les musées, contrôler les narrations et les savoirs. Une étude de l’ALA avance que la grande majorité de ces attaques viennent de groupes de lobbying ou politiques, pas des parents.

Sam Helmick : Entre 2016 et 2020, durant son premier mandat, Donald Trump a tenté de réduire à néant le budget de l’agence fédérale qui finance les bibliothèques. Aujourd’hui, il menace encore son financement. Mais heureusement, cette institution est soutenue par les Démocrates comme les Républicains.

Des bibliothécaires sont-ils enclins à s’autocensurer ?

A.J. : Oui, ils ont peur d’acquérir des livres abordant les questions LGBT et raciales, afin de ne pas être harcelés.

S.H. : Toute la chaîne est affectée. Les auteurs ont peur d’écrire ce type d’ouvrage et les éditeurs craignent de les publier.

Amanda Jones : « Les réseaux sociaux donnent davantage d’ampleur aux attaques, qui ne ciblent plus seulement les livres mais aussi les bibliothécaires »

Est-ce vraiment nouveau ?

A.J. : La censure des années 1950 en période de Maccarthysme, dans les années 1980 contre les romans de Judy Blume, puis contre Harry Potter… Mais aujourd’hui, c’est pire : les réseaux sociaux donnent davantage d’ampleur aux attaques, qui ne ciblent plus seulement les livres mais aussi les bibliothécaires.

Sam Helmick et Amanda Jones, de l’association des bibliothèques américaines, devant l’assemblée du congrès de l’association des bibliothécaires de France.
Sam Helmick et Amanda Jones, de l’ALA, devant l’assemblée du congrès de l’ABF.- Photo FANNY GUYOMARD

Comment se défendre ?

S.H. : les bibliothèques ont été fondées sur le premier amendement : la liberté d’expression. Comme le droit des auteurs à écrire et diffuser librement leur travail. Citons encore le droit de pétition. Des bibliothécaires peuvent donc invectiver leur gouvernement, et plusieurs ont lancé un procès contre eux pour faire respecter ce droit constitutionnel. L’association Freedom to read répond pour sa part à la censure à l’aide d’avocats, qui peuvent aussi aider les bibliothécaires harcelés ayant perdu leur emploi. On a besoin d’aide. Notamment des publics qui fréquentent nos établissements.

Sam Helmick : « On doit aussi parler aux personnes opposées aux bibliothèques ! Comprendre ce qui est important pour elles, et leur montrer nos terrains d’entente »

On s’est également rapprochés de syndicats, mais aussi de compagnies d’assurance (qui accompagnent les bibliothécaires démis de leurs fonctions), de bureaux de tourisme, tout acteur culturel ou économique clé. Mais on doit aussi parler aux personnes opposées aux bibliothèques ! Comprendre ce qui est important pour elles, et leur montrer nos terrains d’entente. Et communiquer sur notre action, en nous appuyant par exemple sur des études d’impact : aux États-Unis, un dollar investi dans une bibliothèque apporte neuf dollars de retour sur investissement, car elle aura aidé une personne à retrouver un emploi, une autre à apprendre une langue…

A.J. : Des associations comme Pen America ou Every library m’ont mise en lien avec des journalistes, pour que je fasse connaître mon histoire. Ce que vous, bibliothécaires de France, pouvez apporter, c’est faire connaître l’horreur qui nous arrive aux États-Unis. À travers des campagnes de communication positives : il vaut mieux être proactifs que réactifs.

Les dernières
actualités