Vies de Vincent

Vincent Borel - Photo PHOTO JACQUES LEENHARDT

Vies de Vincent

Avec Richard W., portrait musical et romanesque de Wagner, Vincent Borel confirme son statut de plus mélomane des romanciers français. Portrait d'un irrégulier aux vies multiples.

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Par Olivier Mony
Créé le 03.11.2014 à 18h37 ,
Mis à jour le 07.01.2015 à 11h35

L'enfance peut mentir. Ses émotions, non. Elle ne peut pas avoir menti cette nuit sur le théâtre de Fourvières, à Lyon, où un enfant de 11 ans qu'accompagne son grand-père, pour qui la musique toujours ordonna le désordre de sa vie de républicain espagnol en exil, découvre Wagner avec Les maîtres chanteurs de Nuremberg, >et l'éblouissement, la jouissance et la volonté que tout cela ne s'interrompe plus.

Avant que ce ne soit le cas dans son oeuvre, il y eut donc un avant et un après Richard W. dans la vie de Vincent Borel. Avant, c'est un garçon solitaire, fils unique, qui se raconte des histoires, court les jardins et les torrents du côté d'Aspremont, le long des pentes de la vallée du Buëch (Hautes-Alpes) où ses parents tiennent un hôtel-restaurant. Après, il y aura, outre Fourvières, le pèlerinage vers le Liceu de Barcelone, les premiers disques achetés dans le Prisunic du coin, les livres aussi, Jules Verne, les romans russes subtilisés à sa mère, tous les horizons du savoir, le lycée à Gap, la classe préparatoire à Aix-en-Provence. Puis le départ, un échec à l'agrégation de lettres qui vaut un aller simple pour Paris. L'effervescence du coeur des années 1980 y est généreuse pour les enfants trop sages. Il s'agit de tout éprouver. La fête est une ontologie. Vincent traîne joliment du côté du Louxor, du Paris gay de David Girard, même s'il se défie du communautarisme qui "a consisté à s'inventer des familles factices".

Le débordement de mots et de sensations éprouvé alors forme le terreau des livres à venir. Car l'écriture est passée par là. Le journalisme tout d'abord. Des chroniques théâtrales au Matin et, très vite, la rencontre dans une brasserie de la place de la République avec un clochard céleste, insupportable autant qu'indispensable, Jean-François Bizot. Actuel se meurt déjà, tué par la loi Evin et le passage du temps, mais Vincent Borel renaît à lui-même. Il dit aujourd'hui que "Bizot était à la fois un ex-hippie manipulateur et un sniffeur de talents". Christophe Nick, Ariel Kyrou, Ariel Wizman, Actuel puis Nova Magazine, le gonzo journalisme à la française, une époque se meurt peut-être, mais l'agonie a de la gueule.

Retour à l'Espagne

Il y a pourtant un temps pour tout, et désormais un temps pour écrire ces livres qui "uniront" les vies de Vincent. Un jour, chez le poète et explorateur Alain Gheerbrant, il rencontre Sabine Wespieser, alors éditrice chez Actes Sud. Bientôt paraît Un ruban noir (Actes Sud, 1995), adieu aux armes et entrée dans la carrière. Suivra le terrifiant et autobiographique Vie et mort d'un crabe (Actes Sud, 1998), puis, pour ouvrir le catalogue de Sabine Wespieser éditeur, en 2002, Baptiste, "portrait musical" buissonnier de Jean-Baptiste Lully, qui en quelque sorte annonçait déjà le Richard W. d'aujourd'hui.

Avant d'en venir là, il convient de faire le détour par Antoine et Isabelle (Sabine Wespieser, 2010), roman de la résolution autant que de la consécration. Vincent Borel s'y penche sur le couple de ses grands-parents catalans, chassés de leur pays par la guerre et Franco. Ce qui y fait retour, outre le refoulé, c'est donc l'Espagne, dont il a depuis acquis la nationalité. "C'est un pays humainement idéal, simple, vivant, solidaire. Un pays qui n'a pas peur de ses contradictions et sait les surmonter pour créer. Un pays où le vivre-ensemble a encore un sens." Certaines déclarations d'amour sonnent comme des autoportraits.

Alors, peut-il dire "Richard Wagner, c'est moi" ? Sûrement pas, mais ce Richard W., opportunément publié l'année où l'on célèbre le bicentenaire de la naissance du musicien, le redécouvre tel qu'on l'ignorait absolument... "Je pensais connaître l'homme, en fait, pas du tout. J'avais oublié l'anarchiste, les vingt ans d'exil, le succès tardif. Surtout, combien il a mis toute sa vie dans son oeuvre et vice versa." Tout le roman (car c'est bien d'un roman, fût-il vrai, qu'il s'agit) est une réflexion enchantée sur la raison pour laquelle cette musique conserve un tel impact sensuel. Là, auprès de Richard, Vincent, de ses vies emmêlées, se révèle en artiste unique.

Richard W., Vincent Borel, Sabine Wespieser, 22 €, 318 p., ISBN : 978-2-84805-133-8, sortie : 10 janvier.

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