« Bonjour, je ne parle pas. » Ainsi nous reçoit timidement Babouillec, alias Hélène Nicolas. Le regard bleu vif, elle scrute le moindre de nos pas, avant de partir dans de grands éclats de rire. Comment deviner ce qui se trame dans sa tête ? La jeune trentenaire à la « boussole indomptée » est autiste et ne s'exprime que par écrit. Installée dans le village breton de Médréac, elle habite une maison chaleureuse avec sa mère, Véronique, femme énergique et joviale. Gourmande, Hélène ne perd pas une miette de la tarte aux pommes ni de la conversation. Quand on l'interroge sur sa « carcasse de corps damné », enfermé dans le silence et le manque de dextérité, elle avoue « cantare dans [sa] tête, certaine d'être entendue ». Petite, elle était insomniaque, bruyante et mutique, mais le diagnostic tardera à tomber. « Impossible pour Hélène de se construire ou de trouver sa place », note sa mère. Dans l'institution où elle est placée, elle est complètement négligée jusqu'à ses 14 ans. Refusant ce triste sort, Véronique entreprend de s'occuper d'elle jour et nuit. « Je voulais avoir une fille car avant cela, elle n'était personne. » Cet apprentissage réciproque crée une relation en mode fusion. « Il faut être dans la tolérance, chercher au fond de soi pour accepter l'autre. Je remercie ma fille pour cette quête passionnante. Comment lui offrir des rails pour qu'elle puisse avancer seule ? » À force de patience et d'amour, Babouillec (nom d'artiste et de plume choisi par Hélène) renaît à la vie. Elle se passionne pour la peinture, les chevaux, la musique et les mots.
Sa mère confirme que « l'écriture lui a ouvert un monde ». Hélène s'y consacre chaque jour, dans « l'Atelier ». Un alphabet plastifié - imaginé par Véronique - repose dans un cadre en bois. Il lui permet de prendre la plume à sa manière, lettre après lettre. Chaque mot, chaque phrase a des airs de Scrabble. Fascinant ! Babouillec bouillonne intérieurement, mais il faut être patient pour lire ses propos. Dire qu'elle a été « barricadée » si longtemps, prisonnière de son corps et de la société qui préfère la caser parmi « les invisibles », comme elle le dénonce poétiquement dans son livre choc, Voyage au centre d'un cerveau d'autiste. « L'autisme est une souffrance qui rend ma fille complexe », explique Véronique. Aussi subit-elle le décalage entre l'image qu'elle renvoie et son intelligence si sensible. Hélène se dit « bafouée dans son identité intellectuelle. Carrément frustrant au-dedans de ressembler à l'idiote du village. » Elle se perçoit comme « un négatif en développement, en attente d'image. L'image d'un univers en couleurs, de vie sans frontières. Je suis poète et les étoiles brillent dans ma tête. » Pas étonnant qu'elle nous invite à « rêver, rêver, rêver ». Babouillec aspire à « un monde à l'intelligence multicolore. Un arc-en-ciel de lumières, d'esprits qui font péter l'adrénaline de l'amour. » Ce dernier consiste à « jouer avec les chemins buissonniers qui traversent nos existences jubilatoires. Ode, ode à l'amour. Au secours, l'amour ça détruit ! » Puisque « la vie est une mascarade », la joie et l'humour sont ses armes contre l'ignorance. Sa liberté ? « Dire merde à ceux qui croient savoir mon acte d'écrire, cette folie de dépasser les limites de l'absurdité du monde, fermé dans ses limites. » C'est pourquoi elle prône « l'acceptation de la différence. Yes ! FIN. »
Voyage au centre d'un cerveau d'autiste
Rivages
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 5 € ; 96 p.
ISBN: 9782743653569