Le jour d'après

Véronique Cardi : "on a hâte, sans trop savoir à quoi s’attendre"

Véronique Cardi, présidente des éditions JC Lattès, pendant le confinement fin avril 2020 - Photo DR.

Véronique Cardi : "on a hâte, sans trop savoir à quoi s’attendre"

Septième épisode du feuilleton de Livres Hebdo "Le jour d'après", rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui Véronique Cardi, présidente des éditions JC Lattès, l'une des filiales de littérature d'Hachette Livre.

Par Fabrice Piault,
Créé le 04.05.2020 à 21h00

« Grâce à moi, tu peux vivre des aventures incroyables, que suis-je ? » Devinette dans le cahier de CP de mon fils aîné, leçon pour apprendre le son V. Réponse : « Je suis... le livre. » Et ma journée de s’illuminer ! De voir ainsi rappeler le pouvoir de la littérature – et de trouver un argument supplémentaire pour diminuer la durée quotidienne de dessin animé des enfants, laquelle a eu tendance à augmenter proportionnellement à la durée du confinement. 
 
Des aventures incroyables, des voyages immobiles, quel meilleur moyen de s’évader en restant chez soi qu’un livre ! Mais comment faire quand les librairies, bibliothèques, médiathèques sont fermées et que le livre n’est pas listé dans les achats de première nécessité. Et pourtant grâce à la capacité d’adaptation des libraires ont surgi des initiatives inédites, et pourtant grâce à leur foi à toute épreuve, quelle joie de continuer à échanger avec eux, de voir se tracer une route pour Olivia Ruiz et son premier roman, La commode aux tiroirs de couleurs, plébiscité par tous comme une des lectures de l’été, de découvrir leurs premières impressions sur nos romans de la rentrée, relayées grâce à des équipes commerciales toujours aussi mobilisées.

Réduire la programmation

Mais parce qu’il faudra plus que des devinettes de CP pour penser le monde d’après, des mesures se sont imposées. Réduire la programmation avant l’été (de 75% en l’occurrence), sans gonfler la rentrée, quitte à reporter certains ouvrages jusqu’au printemps 2021. Accompagner les auteurs juste parus, à paraître, en pleine écriture, et trouver pour chacun la nouvelle stratégie la plus adaptée.
Et surtout inventer de nouvelles manières de les faire rayonner. Une équipe bourrée de talents, ça aide énormément. Rivalisant d’énergie et de créativité, nous voilà alternant les ateliers d’éloquence avec Bertrand Périer sur Instagram le lundi, les lives endiablés de notre nouvel label de littérature La Grenade les mardi et jeudi, les tout nouveaux podcasts des éditions du Masque "Conversations dans le noir" le jeudi aussi et les vidéos de conseils du professeur Michel Lejoyeux le vendredi. (Réflexion du plus grand de mes co-confinés : "c’est fou le temps que ça te prend de ne pas pouvoir vendre de livres !") Autant de rendez-vous que nous poursuivrons après, remèdes imparables au confi-blues.
 
Bien sûr, il y a les réjouissances qu’on a regrettées : enchaîner les lectures musicales d’Olivia Ruiz dans tous les festivals du printemps-été, trinquer collés-serrés au théâtre de l’Odéon pour fêter le prix Anaïs Nin de Nina Bouraoui ou à La Closerie des Lilas pour le prix de Sandrine Collette – peut-être est-il utile de préciser à ce stade qu’on ne m’a pas interdit ici l’autopromo Lattès qui est mon hobby préféré. Mais une chose est sûre : si nous n’avions pas été empêchés et bousculés, nous n’aurions pas réinventé aussi vite nos solidarités et nos communautés, de passeurs, de lecteurs, de think tankers, d’équipes, et nous serons riches de ces nouvelles expériences pour demain.

Retrouver les auteurs en chair et en os
 
Et après, on a hâte, sans trop savoir à quoi s’attendre exactement. Hâte de retrouver les siens et les autres, son bureau et les bourrages papier, les apéros sans Zoom et les réunions sans Teams, les lecteurs en pagaille et les auteurs en chair et en os. On a hâte tout en sachant que ce ne sera pas pour tout de suite et surtout pas comme avant.
 
Et après, on rangera les puzzles 1000 pièces trop vite terminés, on jettera les recettes de gâteaux papillons testés à tous les parfums, on brûlera tous les mandalas dessinés et on coudra des masques pour les équipes s’il le faut, on continuera en partie en télétravail, on publiera moins tout en gardant des enjeux pour faire venir les lecteurs chez nos amis libraires, on trouvera comment les aider à respecter les consignes de sécurité à l’instar des idées de nos voisins des Arènes, on voyagera au-delà des 100 km grâce à nos titres français de la rentrée, des montagnes libanaises d’Une piscine dans le désert de Diane Mazloum à la magnanerie drômoise de Mémoire de soie par Adrien Borne en passant par Monument Valley avec Clint et moi de Eric Libiot.

Réenchanter nos manières de créer du collectif

Et après, difficile de dire ce que les gens auront envie de lire, mais ayons confiance dans la valeur refuge du livre, pour s’évader ou pour comprendre. Comprendre les désastres intimes et collectifs, la crise sanitaire, économique, globale, analyser les leçons à tirer et les défis à relever. Décryptage donc ou à l'inverse divertissement, les mots seront là. Alors courage lisons, parce que l’après-11 mai n’aura rien d’une libération joyeuse instantanée, mais tiendra plus du long chemin de reconquête. Pas de solution miracle, restent les engagements précis et précieux de mon groupe, des convictions personnelles et des envies communes : réenchanter nos manières de créer du collectif sans pouvoir se rassembler ; réduire la production sans renoncer à la découverte ; réfléchir de façon coordonnée à la santé de notre marché.
 
Et après, il y a l’impatience et la ferveur. L’impatience d’apprendre une nouvelle grammaire des émotions et des comportements, comme de retourner en salons promouvoir nos auteurs. La ferveur de porter de nouveaux talents et de réinventer, ensemble, contre vents et virus, la joie de lire. Pour que, grâce à tous les acteurs de la chaîne, le livre continue à être, d’après les maîtresses de CP, ce qui nous fait vivre des aventures incroyables. »
 
Et vous ? Racontez-nous comment vous voyez le jour d’après, comment vous imaginez la relance de votre activité en nous écrivant à l'adresse  confinement@livreshebdo.fr

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