L'autrice de ce texte n'a pas souhaité donner le nom de l'auteur et de l'éditeur dont il est question afin de ne pas leur faire de publicité. Les lecteurs qui souhaiteraient le savoir trouveront à la fin de l'article un lien vers la page Wikipédia de l'éditeur qui leur permettra facilement de remonter le fil de cette affaire (note de la rédaction).
L’auteur et l’éditeur se sont vu attaqués au tribunal par des associations dont l’objet est de promouvoir les droits de l’homme et de lutter contre toutes formes de négationnisme. Leur plainte reposait sur l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 qui punit d'un an d'emprisonnement et d'une amende ceux qui contestent l'existence d'un crime contre l'humanité ou nient, minorent ou banalisent de façon outrancière, l'existence d'un crime de génocide lorsque ce crime a donné lieu à une condamnation judiciaire française ou internationale. Précisément, le génocide des Tutsi a été reconnu par l’ONU et a fait l’objet de plusieurs condamnations, notamment par les Cours d’assises françaises.
Il n’est donc plus permis, par la loi, de minorer ce qui est devenu un fait
Cela est d’autant plus essentiel que la démocratie a besoin du terrain commun des faits pour faire barrage au complotisme. Le droit a décidé de ne pas céder sur les vérités, ne serait-ce que pour éviter les répétitions et garantir l’avenir. Mais aussi, pour le temps présent, enterrer les morts et réparer les vivants. Il ne suffit pas de dire que les gens sont victimes, cela ne veut rien dire d’être victime, on est victime de quelque chose qui nous est arrivé. Les tutsis ne sont pas des victimes, ils sont victimes d’un génocide.
L’éditeur, poursuivi comme auteur principal de l’infraction en application de la loi sur le droit de la presse, se retranche derrière le fait que son auteur était détenteur d’une thèse de doctorat sur le sujet qui aurait, selon lui, reçu « les félicitations du jury » même si elles n’existaient pas à l’époque, une thèse effectivement approuvée par la Faculté Lyon 3, université savamment d’extrême-droite dans laquelle œuvrait le triste sire Faurisson.
Les associations plaignantes ont pointé dix-neuf occurrences négationnistes dans ce livre dont aucune n’était reprise dans la thèse initiale. Parmi les assertions relevées, le terme « génocide » apparaissait entouré de guillemets, procédé de minoration, de péjoration, que la cour de cassation a déjà reconnu comme équivalent à une contestation du génocide.
Quand il est enfin parvenu à dire génocide, il a ajouté, mais
À l’audience, l’auteur assurait ne pas contester l’existence de ce, il peinait à le dire, ce désastre, ces massacres, ces tueries, ces évènements, ce conflit. Et quand il est enfin parvenu à dire génocide, il a ajouté, mais. Son audition était le reflet d’une société sans terrain commun pour dialoguer, où plus personne ne parle des faits. Lorsque les questions le dérangeaient trop, il renvoyait à son avocat comme on renvoie aux notes en bas de page.
Des témoins, historiens, linguistes, se sont succédés à la barre pour expliquer que les génocidaires avaient une parfaite conscience de ce qu’ils commettaient une transgression morale indépassable, en dehors de tout entendement, et que c’est pour cette raison qu’ils en effaçaient immédiatement les traces et les corps. Il ne devait rien rester des ennemis, ni leur nom ni le terme qui les a tués.
Les experts en concluaient que la négation s’inscrit déjà dans le crime, qu’elle en est l’aboutissement. Le génocide perdure donc avec le temps. Est-ce pour cette raison que ce crime est imprescriptible ? Pour sa gravité bien sûr, mais aussi parce qu’on ne parvient pas à parler de ce qui dépasse l’entendement, qu’il faut que le temps du crime passe.
Si les vérités sont multiples, il est rare de parvenir à toutes les insulter
Les chercheurs ont évoqué l’ensemble des procédés qui conduisent à « dé-historiser le génocide », notamment le processus d’inversion qui accable les victimes. Et chaque fois que l’auteur prenait la parole, la théorie se vérifiait.
Il semble faire peu de doute que ce livre a pour vocation de priver de la vérité, la vérité historique et la vérité judiciaire. Si les vérités sont multiples, il est rare de parvenir à toutes les insulter. L’affaire a été mise en délibéré.
Le procès s’est tenu sur une semaine entière, une semaine d’audience, de digressions, de droits élargis, de défilé de témoins, une semaine consacrée à examiner le contexte général, l’écriture particulière du livre et les assertions visées. Le tribunal a pris son temps, comme toujours à la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. Et tant mieux. Le prévenu a fait citer une vingtaine de témoins venus parler du Rwanda actuel, de sa présidence et de ses exactions. Mais pas du livre. Pendant cette même semaine, dans la salle d’audience d’à côté, chambre bien nommée des comparutions immédiates, un homme était envoyé en prison toutes les 30 minutes sans que le tribunal ne prenne le temps d’écouter même sa mère.