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Vents mauvais chez les économistes

Vents mauvais chez les économistes

A propos du livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le négationnisme économique. Et comment s'en débarrasser  (Flammarion).

Le livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le négationnisme économique. Et comment s'en débarrasser, sorti le 7 septembre chez Flammarion, semble emporter un joli succès. La polémique est un ingrédient du succès, parfois pour le meilleur, et le plus souvent pour le pire.
 
La thèse des auteurs se résume ainsi : en économie, le recours à l’expérimentation "en double aveugle", permis notamment par la disponibilité de données de plus en plus fines, conduit à des résultats indiscutables … et qui ne sauraient donc être discutés. Les auteurs oublient au passage qu’une expérimentation requiert des hypothèses, un cadre de pensée, et demeure soumise, en matière économique, à un environnement.
 
Ajoutons que si l’économie expérimentale est un sous-ensemble de l’économie stimulant et prometteur, elle ne résume pas pour autant la variété des approches, des résultats et des publications. Comme le note l’économiste André Orléan, le Journal de l’American Economic Association qui est, selon Pierre Cahuc et André Zylberberg, « au cœur de la production de la connaissance la plus orthodoxe qui soit », ne contenait par exemple, l’année 2013, que 4% d’articles  utilisant – ou étant en lien – avec l’expérimentation aléatoire.
 
Un titre qui pose question

Je n’entrerai pas dans le détail du livre, mais je voudrais m’arrêter un instant sur son titre, au sujet duquel les auteurs s’expliquent ainsi : "L'utilisation du terme ‘négationnisme’ pour décrire les agissements des industriels du tabac peut sembler exagérée, voire déplacée. Il n'en est rien. Ce vocable renvoie au déni du génocide perpétré par les nazis à l'encontre des juifs lors de la Seconde Guerre mondiale. Il a aussi été utilisé à propos de la négation du génocide arménien par les autorités ottomanes pendant la Première Guerre mondiale. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'un déni des faits et des connaissances abondamment documentés par les historiens. Lorsque ce déni touche un domaine du savoir où la connaissance est établie sur des bases scientifiques, en l'occurrence celui de la médecine pour les dangers du tabac, il est parfaitement approprié de parler de « négationnisme scientifique »."

Inadmissible

« Parfaitement approprié » ? En ces temps plus que troubles qui mêlent la montée des populismes et la crise économique et sociale, employer de cette manière le terme « négationniste » est inadmissible. Et singulièrement inapproprié pour des auteurs qui se piquent d’expliquer à la communauté des chercheurs et au grand public ce qu’est une démarche scientifique. Quant au sous-titre : « et comment s’en débarrasser », associé au négationnisme qui renvoie au déni des crimes contre l’humanité, il constitue un appel à la violence – certes symbolique – singulièrement antinomique de la liberté du chercheur.
 
En fait, les auteurs ont commis deux erreurs. La première est de prétendre résumer la science économique à un pan certes prometteur mais encore modérément développé (l’économie expérimentale) et qui ne répond qu’à une part des besoins d’analyse (pour faire vite, on pourrait les qualifier de besoins d’analyse en microéconomie, la macroéconomie nécessitant de tout autres outils). La seconde est de céder aux sirènes du racolage tout en se faisant donneurs de leçons.

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