D’abord, elle a tourné avec Bresson. C’était une vraie Jeune fille (Gallimard, 2007), alors. Ensuite, le temps d’Une année studieuse (Gallimard, 2012), elle a rencontré un homme, Jean-Luc Godard, s’est déguisée pour lui en Chinoise, l’a épousé. Seulement, puisque l’époque était aux fleurs écloses, aux pavés et aux plages, bien plus qu’à l’amour toujours, il a bien fallu que cela se termine, laissant derrière elle un parfum de désastre et de mythe. L’éducation sentimentale d’Anne Wiazemsky s’est faite sous les yeux avides de la fine fleur cinéphile et des enfants d’un siècle déjà vieux. Elle la conclut aujourd’hui avec Un an après, lent épilogue comme un rêve qui hésite à s’avouer cauchemar.
On avait laissé Anne et Jean-Luc sur les remparts d’Avignon l’été 1967, on les retrouve dans le Quartier latin, à l’aube de Mai 68. Très vite, la jeune femme, entre premières manifestations et tournages, a la prescience que si l’Histoire est en marche, elle ne fera pas de prisonniers. Elle est peut-être trop "rêveuse bourgeoisie" pour se sentir pleinement partie prenante de ce joyeux et inquiétant pandémonium. Elle en suivra pourtant l’évolution, auprès d’un Godard à la fois fasciné, circonspect et déchiré entre ses aspirations artistiques et ce "monde nouveau" qui lui semble promis. Entre deux manifs, le couple dîne au Balzar avec Michèle Rosier et Jean-Pierre Bamberger, voyage avec un Deleuze très soucieux de sa mise, s’engueule avec Lennon, filme les Stones et New York, fait du scandale à Rome avec Bertolucci. Puisque tout passe et lasse, puisque Godard est triste, Anne s’échappe dès qu’elle le peut pour se baigner nue dans la Méditerranée au pied de la villa des Lazareff. Tout ce qui est pris de bonheur n’est plus à prendre. La jeunesse, par exemple. Olivier Mony