Ainsi donc, ce ne sera pas pour cette fois, et le
Brexit, ses affres et ses avatars, va encore occuper le devant de la scène médiatique pour quelques mois (?) encore. Un brin de cynisme et de machiavélisme, hélas tentant, pousserait à considérer que, pour Theresa May et pour son gouvernement, le
Brexit est, aussi, un arbre commode qui cache une forêt de plus en plus fournie, celle de la déliquescence des services publics au Royaume-Uni – au premier rang d’entre elles les bibliothèques.
Il fut un temps où, en France notamment, les bibliothèques britanniques, avec leurs consœurs scandinaves, faisaient office de modèle, par leur intégration dans la vie de leur communauté, leur pragmatisme et leurs innovations, modèle dont les Idea Stores
[1] aura été la dernière acmé. Les Idea Stores semblent désormais bien loin : BBC News
[2] indique que, depuis 2010, qui marque le début du déclin, près de 350 bibliothèques ont été fermées au Royaume-Uni, et que plus d’une centaine devrait encore fermer en 2019. Les esprits chagrins, alors que la déliquescence touche aussi le Royaume-Uni lui-même, avec les visées sécessionnistes de l’Ecosse et l’achoppement du
Brexit en partie sur la difficile question de la frontière entre l’Irlande du Nord et l’Irlande, noteront que ces suppressions concernent plus spécifiquement l’Angleterre, alors que l’Ecosse, l’Irlande du Nord et le Pays de Galles (les autres composantes du Royaume-Uni) sont plus épargnées par des choix politiques locaux plus volontaristes.
Réduction de la voilure
Le financement des bibliothèques britanniques obéit à des règles différentes des nôtres. Depuis 1964, les bibliothèques britanniques sont protégées par le Public Libraries and Museums Act (loi sur les bibliothèques publiques et les musées) qui les relient aux autorités locales (les councils, qu’on traduira par comtés) sous la responsabilité du gouvernement central, et qui rend leur existence obligatoire, tout en assurant pour part leur financement par le biais de crédits décentralisés – mais non fléchés
[3]. Mais, depuis 2010 – alors que David Cameron, à l’initiative du
referendum sur le
Brexit, était premier ministre - et dans le cadre de la « Big Society » alors prônée, le Department for Digital, Culture, Media and Sport (on appréciera l’amalgame), en charge de ces financements, en a réduit drastiquement le montant. Les comtés n’ont eu lors guère d’autre choix que de réduire la voilure, sur les bibliothèques comme sur tous les services publics – chacun se renvoyant ensuite la balle, au nom d’une lâcheté politique qui, pour le coup, n’a rien de spécifiquement britannique.
Dans un pays libéral, l’adage «
Aide-toi, le ciel t’aidera »
[4] est à prendre au pied de la lettre, et tant le gouvernement que les comtés invitent sans sourciller les bénévoles à prendre la place des personnels permanents pour continuer à faire fonctionner les bibliothèques, non sans un certain succès il faut le reconnaître. Ainsi, alors que 8000 emplois permanents ont disparu en six ans (soit le quart des effectifs !), 15 000 « volunteers » ont été « recrutés ».
Protestations et procès
Des pétitions, des manifestations, ont lieu partout où sont envisagées des suppressions d’établissements. Des célébrités comme Philip Pullman, l’auteur de
A la croisée des mondes, mais aussi Nick Cave, les Pet Shop Boys ou Depeche Mode, se sont associés aux protestations ; des procès ont été intentés, demandant le respect de la loi de 1964, mais rien n’y fait, et l’avenir s’annonce plus sombre encore que le présent. Les bibliothèques qui, pour un grand nombre, ne sont gérées que par des bénévoles (de… 10 en 2010 à… 500 en 2017) ne sauraient prétendre à autre chose que gérer les affaires courantes, sans pouvoir mettre en œuvre les innovations indispensables à l’adaptation des établissements à l’ère numérique, aggravant encore leur déclin – la fréquentation et le prêt de livres se sont, aussi, effondrés depuis 2010.
Comme le note Tim Coates
[5], grand connaisseur de l’histoire des bibliothèques britanniques, la situation, en réalité, se dégrade depuis au moins 20 ans, et permet d’accélérer la remise en cause des bibliothèques en tant que service public financé par la collectivité, selon une logique désormais bien connue : compression des budgets, baisse de la qualité du service, prétexte au transfert à la gestion privée (c’est le cas pour beaucoup de bibliothèques au Royaume-Uni) ou suppression. Les bibliothèques sont à cette figure un cas d’école, le « canari dans une mine », dont la disparition annonce la suppression ou la réduction d’autres services publics -
Brexit ou pas
Brexit.