28 août > Premier roman France

Héloïse Guay de Bellissen- Photo MAHO/FAYARD

A 31 ans, Héloïse Guay de Bellissen, ancienne libraire qui a déjà signé quelques livres consacrés au slam ou aux classiques de la philosophie (Socrate, Epicure, Spinoza…), était adolescente à la mort de Kurt Cobain. D’un coup de fusil en pleine tête, dans sa maison de la banlieue de Seattle, le 5 avril 1994. Suicide. Le leader charismatique de Nirvana avait 27 ans, et toute sa vie fut une descente aux enfers artificiels, une accoutumance à la mort, désirée, célébrée, atteinte. Comme le garçon ne manquait ni de lucidité ni d’humour, il se définissait comme « un bon mourant ».

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Ce sont les dernières années de la courte vie de Kurt Cobain qu’Héloïse Guay de Bellissen a choisies comme cadre pour son premier roman. Ce qui peut passer pour une posture et affiche la couleur. Mais pas question de biopic, ou d’un récit linéaire. Se mêlent ici épisodes réels et scènes inventées. Et puis, surtout, le narrateur s’appelle Boddah, c’est l’ami imaginaire que le petit Kurt s’était créé dès l’âge de 2 ans, et qui l’a accompagné jusqu’au bout. Une espèce de Jiminy Cricket à la fois jumeau et autonome, avec son caractère et son franc-parler, qui met en garde son ami contre ses tendances mortifères, le houspille parfois, mais ne peut empêcher ce Peter Pan qui voulait « prendre les adultes pour des cons sans qu’ils s’en rendent compte » de s’autodétruire. Leur relation était si fusionnelle que Cobain disait d’eux « nous sommes », et que Courtney Love, sa femme, mère de leur fille Frances, en était jalouse.

Pauvre Courtney, qui dut accepter de faire ménage à trois avec l’héroïne, la seule maîtresse de Kurt, et celle qui l’a emporté. Ils se sont trouvés grâce à la défonce, à laquelle le garçon, déjà rockstar, a initié la fille, rencontrée en 1991 alors qu’elle était la meneuse énervée et vulgaire du groupe grunge Hole. De désintoxication parallèle en rechute commune, de concert en overdose -dont une à Rome, en mars 1994, durant la tournée de l’album In Utero, qui faillit être fatale à Kurt - on suit, grâce à Boddah, toute cette histoire très sex, drugs & rock’n’roll. Se mettre dans la peau et dans la tête de l’ami, confident et témoin à la fois, donne à la romancière toute latitude et toute liberté dans le déroulé et le traitement de son propos. Cela lui permet aussi d’employer un ton détaché, souvent drôle, parfois cru, de mêler son grain de sel, un peu à la façon d’un critique de rock. Ainsi des épisodes où Héloïse Guay de Bellissen rappelle l’admiration de Cobain pour les Beatles, R.E.M. ou Neil Young, où elle suit la genèse des deux seuls vrais disques de Nirvana (Nevermind, succès colossal qui accabla Cobain, incapable d’assumer sa gloire, et In Utero), celui encore où elle raconte la venue du groupe à Paris, pour un « Nulle part ailleurs » mémorable avec Antoine de Caunes. Exercice de virtuosité parfaitement réussi, Le roman de Boddah est une belle surprise de cette rentrée. Jean-Claude Perrier

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