"Ne jamais écrire une page là où suffit une ligne, un chapitre là où un mot fait aussi bien l’affaire." Sous les auspices de Lichtenberg et de Montaigne, Hans Magnus Enzensberger a composé ces essais incisifs sur le monde actuel dont quelques-uns ont été publiés dans l’hebdomadaire Der Spiegel durant l’hiver 2011-2012. On y retrouve intact l’esprit trublion et aiguisé de cet écrivain allemand à qui l’on doit l’un des plus grands livres sur la période nazie, Hammerstein (Gallimard, 2010).
Cette fois, l’auteur puise dans la société contemporaine pour soulever quelques problèmes : les valeurs qui ne valent plus rien, la retraite comme horizon inaccessible, les professions honorables et celles qui ne le sont pas ou le fantasme de la propreté totale.
Dans ces chapitres brefs comme des articles, il dit l’essentiel. Il n’épuise pas le sujet, il le revigore, il lui donne de l’allant, il en fait un thème de conversation, il ouvre des perspectives. Avec l’érudition discrète des gens qui savent beaucoup en étalant peu, l’écrivain né en 1929 aborde la société d’aujourd’hui avec la joie de l’encyclopédiste distant. Effectivement, chez lui rien n’est barbant. Il écrit comme il pense, avec l’élégance de ceux qui n’ont plus rien à prouver.
Son panoptique est un pur régal pour l’esprit. Et ce n’est pas chez Jeremy Bentham qu’il puise sa référence pour ses "vingt problèmes insolubles traités en vingt démonstrations morales et récréatives", mais chez Karl Valentin, un animateur de cabaret des années 1930. Avec Enzensberger, le spectacle est aussi gai que le savoir. Conformistes s’abstenir. Laurent Lemire