Avis aux passagers du bus parisien de la ligne 84 : avant d'y grimper, qu'ils s'assurent d'avoir le cœur bien accroché. Le narrateur de Claude Ponti y a fait un trajet pas piqué des hannetons.
Au début pourtant, rien à signaler. Aux Tuileries, comme tous les jours, les feuilles « calculent le poids des nuages et le nombre de verts différents des pelouses ». A la Concorde ça se gâte, toute la place « s'enforestille » et « des gens ronds comme des patates à pattes têtues plongent du haut de l'Orangerie qui ne se rend compte de rien ». Puis ça se corse carrément quand deux personnes décrites comme « souriantes et amicales », bien qu'elles aient une tête d'animal, quatre bras et des jambes en forme de queue de poisson, se mettent à dialoguer en toute complicité avec notre passager comme si elles avaient gardé les vaches ensemble toute leur vie. Bizarre, lui ne les connaît ni d'Eve ni d'Adam.
Tout à coup patatras, sous ses fesses plus de banquette, sous ses pieds plus de plancher, et le pompom, autour de lui plus de bus 84. A la place, une invitation à rentrer dans une coquille. Et hop, le voilà embringué dans un œuf en compagnie d'un certain Toikili (entendez le lecteur) qui deviendra son complice. Commence alors une virée rocambolesque où il va rencontrer « beaucoup, beaucoup d'amis » parmi lesquels le lapin blanc de Lewis Caroll, Peter de Beatrix Potter, les chimères de Notre-Dame et bien d'autres. Soudain la page se déchire et il faudra lutter avec le monstre « kraffardeux qu'il faut avoir à l'œil ». Qu'à cela ne tienne, les deux compères lui sautent dans l'œil comme des flèches et boum !, le méchant explose. Ouf ! Une fourmi géante qui passe par là les mène vers sept monstres entrés dans le livre. Pas de panique ! Ces monstres sont en fait de grands régulateurs et consolateurs des passions humaines.
On connaît le goût de Claude Ponti pour les monstres. Dans cet album il est à son comble : l'Effacensonge éponge nos pensées douloureuses, Cœur penché pourrait faire rire un caillou de cimetière, Bec de calme régule la méchanceté (car il en faut un peu...), Louramour, digère les amours, etc. Très en forme et en verve, le célèbre auteur-illustrateur nous trimballe avec force jeux de mots et détails « rigolmarrants », au cœur de son imaginaire et de son dessin foisonnant, qui nous rendent tout « joyeuxémus ». On goûte tout particulièrement la mise en abyme de la lecture, avec le personnage de Toikili et l'entrée dans la page déchirée. La rencontre avec les deux passagers du bus, à tête d'animal et queue de poisson, est un grand moment. Les deux lascars semblent connaître son admiration pour le sculpteur et dessinateur Léopold Chauveau, dont les monstres ont beaucoup inspiré Ponti. « Qui ça ? Léopold Chaud veau ? Je ne connais pas de Léopold Chaud Veau, ni aucun veau d'ailleurs... » Si, comme le narrateur, vous ne connaissez pas cet artiste, rendez-vous jusqu'au 28 juin au musée d'Orsay qui lui consacre une exposition pour laquelle Claude Ponti a écrit cinq histoires.
Voyage au pays des monstres
Ecole des loisirs et Musée d’Orsay
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 18,80 € ; 32 p; en coul.
ISBN: 9782211307611