Et finalement, il y a toujours les deux écoles : fidélité ou trahison du livre.
Roman Polanski était invité vendredi 20 mars sur le stand Cracovie & Wroclaw pour évoquer ce travail de transposition: "Il faut être respectueux, c'est indispensable. C'est excitant de garder l'esprit du texte ou l'idée d'une pièce qu’on aime." Benoît Jacquot, qui participait ce dimanche 22 mars, avec Philippe Djian et Patrice Margotin (Delcourt), au débat "Le cinéma, avenir du livre ?" sur le stand de l’Institut français, a affirmé l’inverse : "Si je me sers d’un livre pour faire un film, c’est pour faire un film. Quand je le réalise, je me fous du livre." A ses côtés, Philippe Djian acquiesçait : "Il y a plusieurs manières de traiter un même matériau, il y a eu des adaptations très différentes d’un même livre."
Le chèque
Le mot matériau revient désormais régulièrement dans la bouche des auteurs et des cinéastes. Le cinéaste François Frappat, qui venait présenter vendredi soir la bande annonce commerciale (destinée aux acheteurs dans les marchés du film) de Boomerang, adaptation du livre de Tatiana de Rosnay, considère le livre comme "un matériau plus rapide pour faire un film". Boomerang sortira en salles en septembre, après trois années de gestation, en espérant ne pas décevoir l’écrivain. Tatiana de Rosnay semble satisfaite que la dernière scène du film soit identique à celle du livre. Mais, affirme-t-elle, "il faut laisser les réalisateurs dans leur coin". Philippe Djian est sur la même longueur d’ondes : "Dès lors qu’on accepte le chèque, le metteur en scène a tous les droits" et "le succès du film est celui du metteur en scène, pas celui de l’auteur". Benoît Jacquot raconte à ce sujet une anecdote sur Marguerite Duras à propos de L’Amant : "Quand elle a reçu le chèque pour l’adaptation de Jean-Jacques Annaud, elle trouvait qu’il était le plus grand cinéaste du monde. Et puis elle a vu le film et elle a décidé qu’il n’existait pas et qu’elle ferait le sien".
Car l’écrivain a un ego. S’il est difficile financièrement de refuser les droits pour une adaptation, "il y a toujours la première rencontre entre le cinéaste et l’écrivain, une étape essentielle avant de signer un contrat", explique Patrice Margotin, précisant que "si ça se passe mal, le film ne se fera pas". L’autre étape délicate, c’est la présentation du film à l’écrivain. "C’est un moment terrifiant", selon Benoît Jacquot. Patrice Margotin rappelle que "certains auteurs peuvent faire retirer leur nom du générique et de l’affiche". Ce que nuance Philippe Djian : "Il y a aussi des contrats où c’est impossible de le faire." Le directeur général de Delcourt se souvient de cette anecdote du temps où il était chez Gallimard : "Pour la sortie du film Minority Report, on voulait utiliser l’affiche du film comme couverture du Folio. Nous avons reçu une réponse négative de Tom Cruise, qui refusait de voir sa photo sur des produits dérivés, oubliant ainsi que c’était le film qui était dérivé du livre et pas l’inverse."
Philippe Djian regrette la confusion des genres : "De plus en plus, les éditeurs cherche le film dans le manuscrit qu’ils veulent publier." Roman Polanski a fait la même analyse deux jours plus tôt, mais sur les auteurs : "Beaucoup de jeunes romanciers contemporains écrivent des romans en pensant déjà aux adaptations cinématographiques." "Dans ce cas, il faut publier des comédies sociales avec peu de personnages et se déroulant pas trop loin de Paris", note Patrice Margotin, qui a été assailli de ce genre de demandes par les producteurs aux dernières Rencontres audiovisuelles de la Scelf.
Benoît Jacquot, qui se définit comme "lecteur toxicomane", est persuadé de son côté que "le livre n’a pas besoin du cinéma pour continuer de vivre", suggérant que c’est le 7e art qui a besoin de la littérature plus que l’inverse.