Elle était l’une des dernières héritières du mouvement poétique fondé par André Breton, il y a tout juste cent ans. L’écrivaine et poétesse surréaliste Annie Le Brun s’est éteinte lundi 29 juillet, à l’âge de 81 ans.
« Grande tristesse d’apprendre la disparition d’Annie Le Brun, immense penseuse de notre temps », a déclaré sur Instagram Jean-Baptiste Del Amo, prix Goncourt du premier roman (2008) et auteur de chez Gallimard, maison qu’il partageait avec la défunte. « Elle était l’une des dernières vigies face à notre abrutissement collectif, au désenchantement du monde et aux fossoyeurs de la poésie », ajoute-t-il, confiant que la poétesse avait contribué à lui faire comprendre Sade, marquis scandaleux à la plume profane, dont Annie Le Brun s’était fait la spécialiste avec Soudain un bloc d’abîme (Éditions Pauvert, 1986), une introduction à ses œuvres intégrales.
Prêtresse du surréalisme
Mais Annie Le Brun était, avant tout, une grande prêtresse du surréalisme. Elle s’y plonge dès 1963, lorsque Hervé Delabarre lui présente André Breton. Elle retrouve le poète à plusieurs occasions, se taillant peu à peu une place dans le cercle des surréalistes jusqu’à ce que le mouvement s’autodissolve en 1969. Rien qui n’ait suffi à empêcher la vocation de toute une vie. Deux ans auparavant, Annie Le Brun signait ainsi son premier recueil poétique, Sur le champ, illustré par la peintre franco-tchèque Toyen. Un an plus tard, la révolution de Mai 68 éclatait, colorée par l’art de surréalistes insurgés, dont la poétesse fit partie, signant le texte Vivent les Aventurisques ! avec Vincent Bournoure et Claude Courtot, et qui fut censuré.
En 1972, et malgré la dissipation de ce premier rassemblement d’artistes, Annie Le Brun renoue avec le collectif autour des éditions Maintenant, fondées par son époux, le poète croate Radovan Ivšić. Là, elle publie plusieurs recueils qu’elle rassemblera, plus tard, sous un seul volume intitulé Ombre pour Ombre (2004). La même année, la poétesse créée trois œuvres hybrides : La Traversée des Alpes, avec son mari, Tout près les nomades avec Fabio De Sanctis et Annulaire de lune, illustré par Toyen.
En 1978, Annie Le Brun rencontre l’éditeur Jean-Jacques Pauvert. C’est là qu’elle redécouvre Sade, mais aussi des récits érotiques oubliés, méconnus ou publiés clandestinement, à l’instar du Supplice d'une queue (1931) ou Le Fils de Loth de François-Paul Alibert, Roger ou les à-côtés de l'ombrelle (1926) de Jean Lurçat.
« La poésie, avant d’être des poèmes, c’est une façon d’être »
« Telle qu’en elle-même, l’éternité la change, comme dirait l’autre. Au revoir, Annie Le Brun et que le noir abonde », a rendu hommage la journaliste Louisa Yousfi, aussi autrice de Rester barbare (La Fabrique, 2022), sur son compte Instagram. Un clin d’œil au tempérament orageux et à la langue désossée de la poétesse comme à son texte Appel d’air (Plon, 1988), dans lequel elle appelle à un « communisme des ténèbres », requérant un cessez-de-haine de la poésie. « La poésie, avant d’être des poèmes, c’est une façon d’être qui est liée à une révolte - peut-être la plus humaine possible, qu’on a sûrement tous vécu adolescents - d’un côté l’immensité des désirs que chacun porte en lui et le peu que la vie permet de vivre », commentait-elle ainsi lors d’une émission de ‘Strophes en 1988.
Dans les années 2000, Annie Le Brun ressuscite des figures littéraires et statues de la liberté, avec son essai De l’éperdu, qui évoque Jarry, Sade, Jean Meckert, Roussel ou encore Pierre Louÿs. En 2004, Du trop de réalité (Stock, réédition Gallimard) rappelle, quant à lui, la nécessité de l’utopie et du rêve. Plus récemment, la poétesse a contribué à l’ouvrage collectif Commémorer Mai 68 ? (Gallimard, 2018) qui réédite des textes de Sartre, Pierre Nora, Philippe Sollers ou encore Antoinette Fouque. Suivent Ce qui n’a pas de prix (Stock, 2018), Un espace inobjectif (Gallimard, 2019) ou encore Ceci tuera cela (Stock, 2021), La Vitesse de l’ombre (Flammarion, 2023), et le recueil de textes L’Infini dans un contour (Éditions Bouquins, 2023).