Interview

Steve Sem-Sandberg : "le prix Médicis étranger sort de l'oubli les enfants maudits de Vienne"

Steve Sem-Sandberg. - Photo Olivier Dion

Steve Sem-Sandberg : "le prix Médicis étranger sort de l'oubli les enfants maudits de Vienne"

Venu à Paris recevoir le prix Médicis étranger pour Les Elus (Laffont, "Pavillons"), Steve Sem-Sandberg a répondu aux questions de Livres Hebdo.

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Par Claude Combet
Créé le 04.11.2016 à 19h07 ,
Mis à jour le 07.11.2016 à 13h37

Le Suédois Steve Sem-Sandberg, prix Médicis étranger pour Les Elus, paru en Suède en 2014 et publié à la rentrée par Laffont dans la collection "Pavillons" (traduction Johanna Chatellard-Schapira et Emmanuel Curtil), y a consacré sept ans. Le roman retrace un épisode de la Seconde Guerre mondiale, l’histoire d’enfants handicapés et de jeunes délinquants enfermés au Spiegelgrund, à la fois hôpital et maison de redressement, torturés, soumis à des expérimentations parfois jusqu’à la mort. Livres Hebdo a rencontré Steve Sem-Sandberg, qui est aussi journaliste pour le plus grand quotidien suédois, Dagens Nyheter, et traducteur, alors qu'il était à Paris pour recevoir son prix.
 
Livres Hebdo: Quel sentiment avez-vous éprouvé en recevant le prix Médicis étranger?
Steve Sem-Sandberg: J’ai été bouleversé. C’est à la fois la reconnaissance de mon travail et celle des enfants oubliés de Vienne, ces petits garçons insignifiants, handicapés, dysfonctionnels. Le prix est très connu en Suède et considéré comme l’un des plus importants d’Europe. J’avais espéré être au moins une fois sur la sélection et ça m’est arrivé avec Les dépossédés. Je n’aurais jamais imaginé le remporter.  
 
LH: Pourquoi avez-vous situé Les élus à Vienne?  
S. S.-S.: J’ai eu une bourse pour faire des recherches à Vienne pour Les dépossédés, et j'y suis resté. J’y habite depuis huit ans. J’ai besoin d’être sur les lieux où se passe le livre. Je ne m’attache pas uniquement aux faits mais à la culture, à la mentalité. Vivre dans une autre langue, dans une autre culture, permet de voir les choses différemment, avec un peu de distance.
 
LH: Comme Les dépossédés, sur le ghetto de Lotz, Les élus s’appuie sur un épisode vrai de la Seconde Guerre mondiale. Quelle est l’importance de l’histoire dans votre œuvre?
S. S.-S.: Je ne suis pas historien, je suis romancier. Mes livres traitent de l’humain et racontent comment les individus agissent, réagissent et interagissent quand ils doivent survivre sous la pression. C’est une question de choix: comment réagit un homme normal dans des circonstances aussi particulières que l’Occupation? L’infirmière Anna Katschenka a appris à sauver des vies et à soigner la souffrance des malades mais en même temps doit obéir aux ordres du médecin et maltraiter les enfants. C’est ce conflit qui m’intéresse: comment elle négocie dans ce contexte? Elle est d’une famille socio-démocrate, s’oppose aux nazis, n’a pas le droit de changer d’hôpital et ne peut se passer de son salaire qui fait vivre la famille.
Il y a aussi Adrian Ziegler, l’un des garçons maltraités qui essaie de s’échapper, un adolescent à qui on a volé son enfance et qui a souffert tout le temps en silence parce qu’il avait honte de ne pouvoir mener une vie normale. Les deux récits s’entrecroisent dans le livre mais curieusement les lecteurs s’identifient à l’infirmière. Je raconte la guerre vécue par des gens ordinaires qui souffrent et dont on ne fait jamais les héros de romans.  
Je raconte la guerre vécue par des gens ordinaires qui souffrent et dont on ne fait jamais les héros de romans. Steve Sem-Sandberg

LH: Où avez-vous trouvé cette histoire ? Comment vous êtes-vous documenté ?
S. S.-S.
: En fouillant dans les archives de la ville, je suis tombé sur ces carnets de santé. Une petite fille de 8 ans avait eu la polio mais était pour le reste en bonne santé. On lui donne des pilules et deux mois après elle meurt d’une pneumonie. Ils étaient nombreux dans ce cas mais personne n’a fait le rapprochement. De fait, ces enfants ont expérimenté des médicaments qui les ont tués, mais il n’y en a aucune preuve.
 
LH: Quel est votre rapport aux bibliothèques et aux librairies ?
S. S.-S.: Dans cette société où on court en permanence, où on consomme tout très rapidement, où on n’a pas le temps, les bibliothèques et les librairies restent des lieux qui permettent de retrouver le sens du temps. Jeune, j’en ai passé beaucoup à la bibliothèque municipale de Stockholm, qui n’était pas loin de mon école et ferme à 21 heures. On allait y faire nos devoirs et j’adore cette immense salle ronde.
J’aime particulièrement les librairies Morawa, à Vienne, et Hedengrens, à Stockholm. Elles organisent beaucoup de rencontres et de lectures pour attirer les clients, ce qui est un défi de nos jours. Mais je lis aussi sur une tablette parce qu’il est parfois difficile de trouver des livres en suédois quand je ne suis pas dans mon pays.
 
LH: Sur quoi portera votre prochain roman ?
S. S.-S.:
Je ne sais pas encore. Mon dixième livre est paru en septembre chez Bonnier, mon éditeur suédois. Il a pour titre La tempête et raconte une enfance sur une île au large d’Oslo, avec des références au texte de Shakespeare. Mais je compte bien me remettre très rapidement à écrire.

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