« Je ne comprends pas, ce n'est pas compliqué ! Moi dès le berceau, je savais faire de l'argent, pourquoi tu n'es pas comme moi ! », reproche le père à sa fille. Dans une scène de Simone et moi, la dessinatrice suisse née en 1997 Simone Baumann représente un épisode comme on imagine qu'il en existe tant dans les familles où l'un des rejetons n'épouse pas la carrière qu'escomptaient les parents. Ici, le père accepte néanmoins que sa fille pratique le neuvième art tout en lui intimant de faire « au moins un truc positif, une BD avec du bonheur, de la joie ! » La page suivante, Simone nimbée de l'auréole de sainte-nitouche arbore un t-shirt au motif de trèfle à quatre feuilles, sur lequel est inscrit « happy day ». Tout sourire, elle salue les gens dans la rue en lançant des « coucou ! Quelle belle journée aujourd'hui » et autres « super ! ». On sent l'ironie. Les géniteurs n'arrêtent pas de traiter leur enfant de « râleuse toujours déprimée, à ne rien faire », ou pire de « cerveau cramé », à cause de la couveuse qui, d'après eux, lui aurait bousillé les neurones. Mais Simone ne répond pas toujours aux récriminations par l'indifférence ou par des visions fantasmées d'elle-même en conformité avec la norme sociale. L'ironie qu'on avait cru acérée comme la lame d'un couteau l'est peut-être mais comme un couteau qui se retourne contre l'héroïne.
Une certaine angoisse étreint le lecteur. Et si la parentale accusation de folie n'était pas sans fondement ? Au fur et à mesure qu'on suit la jeune femme dans sa déambulation urbaine, chez le psy, parmi les méandres de ses peurs et de ses doutes, on partage avec elle ses tribulations mentales. On lui dit qu'elle perd la tête et c'est une Simone acéphale qui marche à travers la ville, la tête détachée du corps qu'on retrouve sur un bout de trottoir. Tourne-t-elle en rond ? Et la voilà qui fait des tours dans une roue de hamster, toujours sans caboche... Est-elle indécise ? Et l'indécision de lui faire pousser une deuxième tête, la transformant en sœurs siamoises clivées. Chaque séquence se termine par le mot « fin » maisun nouveau cauchemar éveillé redémarre, tel un supplice infernal sempiternellement recommencé. Le dessin de Baumann d'une énergie très punk, son trait d'un réalisme naïf proche de l'outsider art, nous happent littéralement dans cette autofiction expressionniste virtuose à la noirceur psychotique, qui rappelle Fritz Zorn, auteur de Mars et zurichois comme Simone.
Simone et moi Traduit de l’allemand (Suisse) par Martin de Halleux et Thomas Ott
Éditions Martin de Halleux
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 29 € ; 352 p.
ISBN: 9782490393220