Entre une gigantesque autoroute et les pistes de l'aéroport international de Sharjah, un bâtiment plat, futuriste et épuré attrape le regard. Son nom, aussi, intrigue : House of Wisdom, « Maison de la sagesse ». Cet invraisemblable centre culturel a été inauguré en décembre 2020 pour célébrer le titre de Capitale mondiale du livre alors décerné à Sharjah par l'Unesco.
Car ce petit émirat qui a fait du soft power culturel l'un de ses grands investissements ne fait pas, à l'instar de son proche voisin qu'est Dubaï, les choses à moitié. Conçu par le cabinet Foster + Partners, le bâtiment vise initialement à « redéfinir le rôle des bibliothèques au XXIe siècle en les transformant en pôles sociaux », d'après sa direction. Le terme de bibliothèque est en fait assez réducteur : l'ensemble sur deux niveaux abrite, outre ses rayonnages de 300 000 ouvrages, des librairies généralistes et jeunesse (dont une prestigieuse librairie Assouline), des espaces fablab, des salles de prière ou de réunion, un hall d'exposition, des restaurants et cafés, mais aussi des jardins intérieurs, salles de jeux, ou encore des ateliers linguistiques pour les plus jeunes.
Lors de notre visite se tenaient des cours de conversation en français pour des dizaines de jeunes élèves. Sans oublier la salle Espresso books, dédiée à l'impression à la demande et devant laquelle une file d'attente s'étire.
Étude et Rûmî
C'est bien là la principale surprise du lieu : alors que l'étrange émirat qu'est Sharjah semble bien artificiel et vide d'habitants, la House of Wisdom fourmille lors de notre visite, un samedi après-midi. Il est même impossible de trouver une place dans les salles d'étude ou dans les cabines, ni sur l'un des nombreux fauteuils à disposition. Étudiants, familles, jeunes entrepreneurs comme hommes d'affaires âgés : tous sont ici plongés dans une ambiance studieuse. Inde, Moyen et Proche-Orient, Asie du Sud-Est ou États-Unis : les nationalités se mélangent.
Organisés en carré autour d'un puits de lumière abritant des jardins, les espaces intérieurs paraissent immaculés. Partout, le verre et le mobilier épuré créent une ambiance sereine et font oublier aux visiteurs les deux 8 voies surchargées à proximité. En permanence, des équipes discrètes astiquent les tables, briquent les sols et lavent les nombreuses vitres.
À l'étage, se tient lors de notre visite une exposition autour de Rûmî, poète perse majeur du XIIIe siècle, auteur de l'œuvre la plus influente du soufisme, le Masnavi. Nous y suivons le parcours de sa vie, depuis Balkh (actuel Afghanistan) à Konya en passant par Bagdad, La Mecque, Alep ou Damas. Y sont présentés librement manuscrits rarissimes, vêtements, instruments de musique et divers objets de l'époque.
Un peu plus loin, tout un pan de la House of Wisdom est réservé aux femmes : le Diwan, tout aussi fréquenté. Tout près, une autre salle accueille les collections de livres rares, notamment sur l'art islamique.
Vers le ciel et au-delà
La visite ne serait pas complète sans un tour des espaces extérieurs. Jardins paysagers, terrasses ombragées, miroirs d'eau, parterre plantés et coupés au millimètre : l'ensemble offre un environnement propice à l'apprentissage en plein air. En cette période hivernale, avec des températures encore supportables, l'extérieur est aussi très fréquenté. L'harmonie des espaces extérieurs avec l'immense toit flottant et son surplomb de 15 mètres est parfaite. De dehors, on peut mieux apprécier les façades entièrement vitrées s'opacifiant au besoin face au soleil et aux températures qui, ici, s'affolent.
Du côté des terrasses sud, s'étendent le « Jardin de la connaissance » et des aires de jeux pour enfant. Du côté des terrasses nord, un jardin plus formel et géométrique abrite une imposante sculpture de 36 mètres de haut en forme de spirale baptisée The Scroll. Œuvre de l'artiste indo-britannique Gerry Judah, elle représente une interprétation contemporaine des anciens rouleaux de parchemins arabes, le tout s'élevant vers le ciel. Non loin de là, un alignement de jets d'eau nous ramène vers l'intérieur et ses salles pleines de lecteurs.
Si aucun chiffre ne circule quant au coût de l'ensemble, la fréquentation de ce lieu novateur, qui puise son nom de l'ancienne grande bibliothèque de-Bagdad détruite en 1258, prouvera au moins que, dans la quête de prestige culturel de l'émirat de Sharjah, les milliards de dollars n'accouchent pas forcément de coquilles vides.
