Pour qui aime l'ample mouvement de la fiction plutôt que la sèche écriture scénarique, il n'était pas évident de trouver son bonheur au catalogue d'une maison d'édition dont la spécificité est de produire des "proto-synopsis" afin de les développer en film. C'est chose faite avec Un homme jetable d'Aude Walker. Auteure d'un premier roman remarqué, Saloon (Denoël, 2008), western familial déjanté qui fait repartir l'héroïne américaine exilée à Paris sur les lieux de ses origines de l'autre côté de l'Atlantique, la romancière place l'action de son dernier livre dans une centrale nucléaire.

Jules vient de rater son bac pour la deuxième fois, il n'arrête pas de s'engueuler avec sa mère botoxée qui enquille les relations avec de riches joueurs de golf de la Côte d'Azur. Il ne voit pas d'horizon, ni pour lui ni pour sa jeune soeur à qui il voudrait éviter la "prostitution déguisée" de "ladite pute de mère". Trois bonnes raisons pour déguerpir, et pas d'autre choix que Pôle emploi. Jules trouve un job d'"agent de servitude" dans la deuxième centrale de l'Hexagone. En théorie "en charge de la logistique nucléaire", de fait boniche de la centrale. "Robinetiers, chaudronniers, pontiers, mécaniciens... La boniche est au service de tous les travailleurs." Polyvalent... et risqué mais amusant pour un jeune qui aime l'aventure et la panoplie de chevalier de l'espace qui va avec : "J'adore la tenue Mururoa, leur truc sumo-cosmonaute [...]. C'est beau, ça nous fait une dégaine de sauveur de l'humanité et en plus ça fait marrer tout le monde." Sous la supervision d'un ancien, le boss de la radioprotection Fernand, trente ans de métier, il fait du zèle tout en apprenant les rapports de travail pourri, mais la pourriture finalement n'est pas du côté de "cet enculé de sa race" ou des collègues lourdingues ou "triso", le vrai côté obscur de la farce est cette énergie qui contamine et, au-delà des préoccupations écologiques, tout un système qui utilise un Lumpenproletariat d'éboueurs de déchets radioactifs. Fernand tombe malade, et pour Jules commence le combat. Aude Walker signe une fable sur la précarité à l'irrésistible ton gouailleur. Ça ferait un bon film, mais c'est déjà un très bon livre.