La mémoire et le présent. Y aurait-il une faille politico--temporelle à propos de l'État français ? Des hommes politiques l'ont cru ou on fait mine de le croire. Pour de Gaulle, la vraie France était à Londres. Pour Pompidou, il valait mieux oublier Vichy et ces temps « où les Français ne s'aimaient pas ». -Mitterrand, comme président de la République, ne voulait pas être comptable de cette rafle des 16 et 17 juillet 1942 où plus de 13 000 femmes, hommes et enfants juifs furent arrêtés à Paris par la police française puis conduits vers les camps de la mort.

L'excellent essai de Sébastien Ledoux et la nouvelle collection « Memento » posent la question cruciale de la mémoire en histoire. La mémoire, c'est un passé au présent, un passé qui ressurgit. Mais qu'est-ce qui le fait remonter à la surface ? Les critères sont nombreux : politiques, sociaux, idéologiques. Simplement, parfois, il suffit d'un travail de recherche, d'un livre, d'un film, d'une émission de télévision, d'un article. C'est bien ce que montre cet historien, auteur du Devoir de mémoire (CNRS éditions, 2016) et de La nation en récit (Belin, 2021).

Le 16 juillet 1995, lors de la cérémonie de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, Jacques Chirac a brisé le silence. Oui, c'était bien la France qui avait commis l'irréparable. Et si l'on ne pouvait effectivement réparer l'irréparable, on pouvait le reconnaître, se souvenir et dire la vérité. Alors « Vichy était-il la France ? » Oui, assurément, mais pas toute la France. C'est ce qui explique que 75 % des juifs de France ont pu être sauvés.

Dans ce texte nerveux et dûment sourcé, Sébastien Ledoux revient sur les étapes de cette mémoire française encombrée qu'il est toujours nécessaire de dégager pour laisser passer la réalité, aussi terrible soit-elle. Et, comme de récentes polémiques l'ont soulevé à propos de la colonisation en Algérie, il n'est pas inutile de se souvenir du début d'un autre discours de Jacques Chirac, alors Premier ministre et maire de Paris, le 18 juillet 1986 : « L'évocation de notre passé ne peut pas être que la commémoration des moments glorieux de notre histoire. Les heures les plus sombres doivent aussi être rappelées au souvenir des citoyens. S'il faut que les honneurs soient rendus aux héros, l'hommage de la nation doit également s'adresser aux victimes. »