Livres Hebdo : Vous avez pris ce 1er janvier 2025 la présidence de l'ADBU, pour trois ans. Rupture ou continuité ?
Sandrine Gropp : Nous entendons poursuivre les travaux engagés par le précédent bureau, qui partent du constat de décrochage des bibliothèques françaises par rapport au niveau européen et établissent un plan d'actions à horizon 2030. Au-delà des investissements nécessaires (plus de trois milliards d'euros), les grandes lignes portent sur l'offre de ressources documentaires, la formation et la reconnaissance de l'engagement des personnels, la construction et la rénovation des BU. Il faut aussi renforcer la visibilité de la place qu'occupent les bibliothèques au sein de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Quelle est la place des bibliothèques dans les universités ?
Les BU sont au carrefour des grands défis de société contemporains, touchant à l'écologie (le prêt s'inscrit dans l'économie circulaire), à la formation, au numérique, à la citoyenneté, à la diffusion des savoirs... Ou encore à la lutte pour l'égalité des chances, en proposant des espaces de travail librement accessibles et à des horaires étendus. L'Observatoire de la vie étudiante, dans son enquête nationale sur les conditions de vie des étudiants menée en 2023, caractérise les bibliothèques comme l'équipement qu'ils utilisent le plus : 71 %, contre 65 % pour les équipements du Crous, 37 % pour les activités culturelles et 23 % pour les équipements sportifs !
De là à impliquer les bibliothécaires dans la gouvernance des universités ? En ont-ils les compétences ?
L'expertise des personnels d'encadrement des bibliothèques couvre l'ensemble des domaines stratégiques des universités : politiques de formation et de recherche, responsabilité sociale et écologique, action culturelle, rayonnement et visibilité de l'établissement, management et direction de services, gestion de projets. Le référentiel des directeurs et directrices de BU en atteste. De plus, après observation du terrain, notre nouveau référentiel des compétences des personnels de BU met en lumière leurs compétences informationnelles, indispensables dans un contexte de recrudescence des infox - parfois favorisées par le recours à l'intelligence artificielle.
« La science ouverte est un moteur d'innovation ! »
Les bibliothécaires (en lien avec les enseignants-chercheurs) devraient obligatoirement former les étudiants à réutiliser l'information de manière responsable. L'éducation aux médias et à l'information doit être plus clairement inscrite dans les maquettes de formation, car comprendre et maîtriser les technologies en développement est crucial pour le maintien de sociétés démocratiques.
Quid de la formation des chercheurs ?
Les bibliothécaires contribuent à l'activité de recherche et sont les chevilles ouvrières des politiques d'ouverture des publications comme des données de la recherche. La science ouverte est un moteur d'innovation ! Et elle progresse considérablement : la production numérique des établissements a augmenté de 226 % entre 2018 et 2022, et la part des publications en accès libre est passée de 36 % en 2018 à 55 % en 2022. Les moyens consacrés par les services documentaires aux activités de soutien à la recherche ont fortement augmenté entre ces deux années, essentiellement par voie de redéploiement interne : +60 % pour les ETP consacrés aux archives ouvertes et institutionnelles, +70 % pour la bibliométrie, +104 % pour le traitement et la valorisation des données issues de la recherche.
« Il est nécessaire de revivifier le dialogue avec les ministères et les associations professionnelles »
Sauf que cet investissement reste trop souvent invisible aux yeux des politiques, et dépend des dynamiques relationnelles et des facteurs d'opportunité au sein des établissements, alors qu'il devrait être intégré de manière structurelle au niveau local comme national.
Comment les bibliothèques doivent-elles procéder ?
Mutualiser, décloisonner et gagner en visibilité suppose de développer le travail en collaboration avec les autres services universitaires (informatique, recherche, vie de campus, formations et études...) pour partager les compétences métiers, ce qui ne dépend pas seulement des bibliothécaires mais doit être impulsé et soutenu par la gouvernance. En parallèle, il est nécessaire de revivifier le dialogue avec les ministères et les associations professionnelles comme l'Association des directrices et directeurs généraux des services d'établissements d'enseignement supérieur (ADGS), Sup des RH ou l'Artiès (pour l'immobilier) par exemple. Les échanges et les engagements communs avec Liber, au niveau européen, continueront de positionner l'ADBU dans l'espace commun documentaire. La force des bibliothécaires, c'est leur capacité, fruit d'une longue pratique, de travailler en réseau !
Et l'ordre de marche dans les rangs de l'ADBU ?
Nous continuerons de favoriser les partages d'expériences, les réflexions collectives et la construction de stratégies partagées lors d'événements, comme les congrès ou les journées d'études. Et avec des formats « en distanciel » (webinaires, ateliers en ligne). Les remontées de terrain, le volontarisme des membres des commissions et l'engagement des adhérents de l'ADBU demeurent le fondement de l'action de l'association. L
Le décrochage des BU françaises
Selon l'étude de la situation des bibliothèques universitaires françaises et seize autres pays européens (ainsi que le Québec), de 2013 à 2022, les dépenses documentaires par étudiant et enseignant-chercheur sont en baisse de 10 %. Elles s'élèvent en France à 56 €, 128 € en moyenne européenne (sans la Suisse). Les horaires d'ouverture hebdomadaires français, malgré une légère progression, sont en deçà de la moyenne européenne. Le nombre d'ETP de personnels de bibliothèque pour 1 000 étudiants est en baisse (-12 % en dix ans) et est en France plus faible qu'ailleurs.