Tradition et virginité. Ce récit romanesque d'inspiration autobiographique s'ouvre sur l'examen gynécologique d'une jeune fille de 17 ans, Rim, soupçonnée par sa famille de ne plus être vierge alors qu'elle n'est pas encore mariée. Traitée en coupable, la jeune fille, sûre d'elle, accepte de se plier à un test de virginité « pour qu'ils se sentent tous comme des cons ». « Comme [la gynéco] n'avait pas pris la peine de m'offrir la blouse que la bienséance réclame chez ce type de praticien, elle ne s'embarrassa pas non plus de lubrifier ses doigts quand elle me les enfonça au fond du vagin, même sans me prévenir, sans m'informer des étapes... » Ces cinq minutes dans le cabinet d'un médecin peu bienveillant qui adopte une attitude punitive et fait un geste brutal, invasif, inadapté, vont provoquer un traumatisme chez la narratrice. Sa première pénétration relève ainsi d'un « viol institutionnel », orchestré comme punition par sa propre mère et accepté, voire encouragé, par sa tante dont elle était pourtant très proche − Rim ressent alors un « abandon sinistre ».
Rim baigne dans un environnement familial violent au Maroc. À 17 ans, elle sort avec X et, en lectrice assidue du magazine pour ados Jeune et Jolie, imagine qu'ils partiront loin vivre ensemble leur histoire follement romantique. « Je rêvais de hacker la vie. » Un brin rebelles, certains de ses comportements suscitent chez sa mère une colère que cette dernière traduit d'emblée par de la brutalité et des coups, lorsqu'elle juge Rim hors du « droit chemin ». Un jour, surprenant Rim à fumer une cigarette dans sa chambre, sa mère lui assène plusieurs claques, l'insulte - « je savais qu'elle allait me tuer, cette bâtarde ! » - et lui impose ce fameux test de virginité. Très vite on découvre la projection que cette mère fait sur sa fille, pour avoir elle-même été soumise et sujette à des obligations et des traditions humiliantes. Malgré tout « l'amour » et « la confiance » que son père disait porter à sa future femme, il lui imposa un test de virginité avant de conclure la négociation du mariage, afin qu'au terme de la nuit de noces, le drap blanc taché de sang prouve sans équivoque la pureté de la jeune mariée à tous les invités.
« Pierre angulaire de la violence de [sa] mère », cette histoire racontée sur le tard décide Rim à ne pas vivre le même sort. Des années après, devenue artiste, elle récupère le drap de noces de sa mère et l'expose dans les lieux d'art, installation pour laquelle elle reçoit tous les honneurs, notamment du roi du Maroc. « Grâce à moi, tout le pays sait que tu étais vierge à ton mariage. Même le roi. » Dans ce premier roman, la poétesse franco-marocaine Rim Battal pointe la persistance d'un patriarcat « imbu de lui-même » qui s'immisce dans l'intimité des femmes. Mais adresse également un beau message d'espoir et d'émancipation.
Je me regarderai dans les yeux
Bayard
Tirage: 5000 ex.
Prix: 16,50 € ; 208 p.
ISBN: 9782227502925