Droits des auteurs

Rémunération ou contribution sur le livre d'occasion : qui veut quoi ?

OLIVIER DION

Rémunération ou contribution sur le livre d'occasion : qui veut quoi ?

Contribution des plateformes de revente en ligne, droits d'auteur sur les livres de seconde main... Plusieurs pistes sont proposées par une partie de la chaîne du livre, inquiète de voir le marché de l'occasion se développer sans que cela ne profite aux auteurs et aux éditeurs. Pour autant, les avis sur la question restent partagés.

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Par Souen Léger
Créé le 10.04.2025 à 16h30

Renaud Lefebvre, Syndicat national de l'édition (SNE) : « Pour une rémunération en droits d'auteur »

Renaud Lefebvre
Renaud Lefebvre, directeur général du Syndicat national de l'édition- Photo OLIVIER DION

« Nous estimons nécessaire la mise en place d'une rémunération en droits d'auteur au bénéfice des titulaires des droits sur les livres, c'est-à-dire les auteurs et leurs éditeurs », déclare Renaud Lefebvre, directeur général du Syndicat national de l'édition. Une rémunération qui « devrait donner lieu à un mécanisme de gestion collective obligatoire, qui prendrait la forme d'un pourcentage perçu sur les ventes de livres d'occasion, en ménageant un certain nombre de critères et d'exceptions », détaille-t-il encore. Tout d'abord, « on fixerait un seuil en deçà duquel les acteurs n'y seraient pas assujettis », indique Renaud Lefebvre précisant qu'il ne s'agit pas de « mettre un péage chez les bouquinistes, de contrarier le commerce des livres rares ou anciens, ou de percevoir des droits sur des transactions de proximité entre particuliers. » Autre exception, « les acteurs de l'économie sociale et solidaire, tels que définis par la loi, et ceux ayant vocation à avoir des activités diversifiées, comme Emmaüs » ne seraient pas non plus concernés par le dispositif. Concrètement, cette rémunération correspondrait à « quelques dizaines de centimes » par exemplaire. « Le prix du livre ne doit pas s'en trouver déformé au point de nuire au pouvoir d'achat », appuie le directeur général. Le SNE souhaite par ailleurs que les auteurs, les éditeurs, et la puissance publique s'entendent sur le fait qu'une part des sommes perçues au titre de ce dispositif soit destinée à des missions d'intérêt général, comme c'est déjà le cas pour le droit de prêt et la copie privée numérique.

 

Patrice Locmant, Société des gens de lettres (SGDL) : « Il faut laisser une chance au livre neuf de se vendre »

« L'annonce du président Emmanuel Macron sur la mise en place d'une contribution sur le marché des livres d'occasion n'ayant pas été suivie d'effet, nous avons travaillé avec plusieurs parlementaires sensibles à cette question », retrace Patrice Locmant, directeur général de la Société des gens de lettres (SGDL). Un certain nombre de députés et sénateurs ont alors introduit des amendements en ce sens, lors du projet de loi de finances 2025 présenté avant la fin du gouvernement de Michel -Barnier en décembre 2024. Tombés avec la censure, ils visaient à soumettre « les opérateurs de vente en ligne exerçant une activité de place de marche et/ou de revente de livres d'occasion » à une contribution destinée à « compenser le préjudice économique subi par les auteurs de livres et leurs éditeurs en raison de l'exploitation commerciale qui est faite de leurs œuvres ». « La Sofia, par exemple, serait en mesure de collecter et de reverser aux auteurs et aux éditeurs une telle contribution [...]. Les réflexions portent sur des questions juridiques notamment la question de l'épuisement des droits », reconnaît le directeur général. D'autres solutions complémentaires pour encadrer le marché de l'occasion, comme la chronologie des médias, sont envisagées. « Comme dans le cinéma, où un délai doit être respecté entre la sortie en salles et sur les plateformes de streaming ou en DVD, on pourrait imaginer un délai de six mois entre la date de parution d'un livre et l'autorisation de le revendre d'occasion, pour laisser une chance au livre neuf de se vendre », plaide Patrice Locmant.

 

Stéphanie Le Cam, Ligue des auteurs professionnels : « Être payés sur l'occasion, c'est un peu la licorne »

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Stéphanie Le Cam, directrice générale de la ligue des auteurs professionnels- Photo DR

« L'occasion ? C'est un sujet qui nous préoccupe car on sait qu'elle grignote des parts de marché au détriment des auteurs et des éditeurs, mais nous avons donné la priorité à d'autres enjeux, comme l'IA et ses impacts sur les métiers de la création », rapporte Stéphanie Le Cam, directrice de la Ligue des auteurs professionnels, qui réunit près de 2 800 -adhérents. « Nous essayons déjà d'être mieux rémunérés sur le livre neuf, sans y parvenir, alors être payés sur l'occasion, c'est un peu la licorne ! », poursuit-elle, estimant que « toutes les discussions menées avec les éditeurs depuis cinq ans sur le livre neuf n'ont abouti à rien de concret ni de rassurant ». Favorable au principe d'une rémunération des auteurs sur l'occasion, la Ligue appelle à « construire un cadre pour le dialogue social avec une parfaite connaissance des acteurs du marché de l'occasion », dont les entreprises de l'économie sociale et solidaire. « Il va aussi falloir trouver une assise juridique pour générer une nouvelle source de rémunération, puis se poser la question de l'organisation de la répartition de cette rémunération et de la gestion collective, alors même que la gestion collective pour les auteurs du livre est très faible. Nous, auteurs et autrices, n'avons pas notre Sacem, nous sommes éclatés entre les organismes que sont la Scam, la SACD, l'ADAGP... », expose-t-elle. De quoi questionner l'adéquation de l'écosystème dans son ensemble à une possible rémunération des auteurs sur l'occasion.

 

Frédéric Duval, Amazon France : « Taxer ces livres aurait un impact négatif sur la lecture »

Frédéric Duval, directeur général d'Amazon France
Frédéric Duval, directeur général d'Amazon France- Photo OLIVIER DION

« Amazon ne vend pas directement de livres d'occasion, mais notre place de marché permet à des marchands tiers de proposer ce type de livres. Les livres d'occasion favorisent la lecture en offrant une alternative plus économique. Dans un contexte de recul de la lecture, c'est essentiel. D'après l'Ifop, pour 84 % des lecteurs, cet achat plus économique leur permet de lire plus. Ne refaisons pas la même erreur qu'avec les frais de port obligatoires : taxer ces livres n'aurait qu'un impact négatif sur la lecture et, sans surprise, deux tiers des Français, toujours d'après l'Ifop, sont contre cette proposition. »

Propos extraits de l'interview de Frédéric Duval parue dans Livres Hebdo le 19 janvier 2025.

 

Sylvain Joly, Recyclivre : « Mieux vendre les livres d'occasion pour mieux rémunérer l'ensemble de la chaîne »

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Sylvain Joly, codirecteur de Recyclivre- Photo RECYCLIVRE

« Si on vient taxer Amazon, une place de marché où nous vendons des livres, tout comme Ammareal ou Pages Solidaires, ce sont les acteurs de la solidarité qu'on viendra taxer », considère Sylvain Joly, codirecteur de Recyclivre, acteur du livre d'occasion en ligne qui travaille avec des associations pour la collecte et le tri des livres, tout en reversant 1 % de son chiffre d'affaires au fonds de dotation  1 % for the Planet. « Aujourd'hui, on sait qu'il y a un problème sur la rémunération des auteurs, mais ce n'est pas de la faute de l'occasion, c'est un enjeu qui existe depuis de nombreuses années et qui doit en priorité être réglé par les éditeurs. Il faudrait mettre tous les acteurs autour de la table pour trouver des solutions, qui seront forcément complexes », estime Sylvain Joly. Comme d'autres, il appelle à une meilleure connaissance du marché de la seconde main. « L'occasion c'est 10 % du marché en termes de chiffre d'affaires, et 20 % en volume. Il est important que nous puissions partager son fonctionnement, quels sont les livres d'occasion vendus et à partir de quel moment nous, acteurs de l'occasion, intervenons dans le marché », considère Sylvain Joly, rappelant que la majorité des livres d'occasion sont vendus plus de dix ans après leur parution. « En travaillant de concert, nous pouvons trouver des leviers afin de mieux vendre ces livres d'occasion et de mieux rémunérer l'ensemble de la chaîne plutôt que de taxer de façon unilatérale notre marché », assure le codirecteur de Recyclivre. Selon lui, ce débat masque un autre enjeu crucial, celui de la lecture, en déclin au sein des jeunes générations. Et de conclure : « Acteurs de l'occasion et du neuf, c'est là qu'il faut qu'on aille se battre tous ensemble. » 

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