"Il y a dans la librairie, dans son acception moderne, un malaise originel, que nous nommerions 'le commerce des livres', estime l’ancien libraire. Dans le rapport de Bruno Racine intitulé 'L’auteur et l’acte de création', ce malaise est devenu celui des 'acteurs de l’aval'. […] Le double corps des livres, lui, ne distingue ni amont ni aval. En assimilant l’éditeur à un 'acteur de l’aval', le rapport de Bruno Racine voudrait émanciper les auteurs artistes de leurs éditeurs, désormais employeurs. C’est les isoler des maisons qui les hébergent."
Christian Thorel reproche au rapport Racine de réduire le lien entre éditeur et auteur à une relation de subordination. "Le contrat social qui unit auteur et éditeur va au-delà des termes d’une embauche et de sa rémunération, juge le toulousain. Ces auteurs, sans lesquels rien n’existe, nous voudrions les savoir librement liés à leurs maisons, dans une réciprocité responsable."
Le libraire rajoute que "malgré les inflexions récentes de leurs liens, rien d’une 'politique d’auteurs' ne peut s’entreprendre sans la 'politique d’éditeurs' qui lui répond". […] Si je n’aime pas le mot 'chaîne', j’apprécie qu’il témoigne d’une solidarité et d’un projet collectif, et non d’une 'archipelisation' des fonctions qui doivent lier durablement nos métiers."
"Une nouvelle emprise administrative"
Déçu par les propositions de Bruno Racine, Christian Thorel aurait souhaité "une vision, un projet politique pour les mondes où l’artiste, l’auteur, précaire ou non, se frotte à la réalité de son temps, à sa technique, à son économie." A la place, il constate la volonté d’instaurer "de nouveaux degrés de médiation" qui déboucheront sur "une nouvelle emprise administrative qui divise d’emblée ('amont, aval', création, production, diffusion)."
Sur la question centrale de la précarité des auteurs, Christian Torel reconnaît néanmoins "les vices et les entraves" de la chaîne du livre révélés par le rapport Racine. Mais pour le libraire, les disparités de revenus des écrivains ne sont pas forcément à mettre au compte de la nature des contrats, mais plutôt au "manque de lecteurs, dont le nombre n’augmente pas, face à une production industrielle toujours plus prolifique".
Pour finir, le libraire d'Ombres Blanches appelle de ses vœux "une politique culturelle digne, engagée, respectueuse des valeurs portées par plus de deux siècles d’édition moderne". Une telle stratégie devrait s’appuyer sur deux axes, selon Christian Thorel : "reconstruire un lectorat averti, conscient, engagé dans le combat commun pour une émancipation véritable, et affaiblir la puissance des monopoles et de tous leurs agents, littéraires compris, qui menacent de posséder l’ensemble de la production artistique et culturelle, et de mettre intellectuels et politiques au pas, pour leur seule rentabilité."