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Quelle Europe pour le livre ?

david martyn

Quelle Europe pour le livre ?

Participant pleinement au rayonnement de l'Union européenne, l'édition ne bénéficie pas d'une véritable politique culturelle. L'interprofession multiplie les initiatives de coopérations transnationales et cherche à faire entendre sa voix à la veille des élections européennes.

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Par Cécilia Lacour
Créé le 17.05.2024 à 18h35

Après la stupeur, le renforcement des alliances. En déclarant la guerre à l'Ukraine le 24 février 2022, Vladimir Poutine a probablement pris le monde entier de court. Plus de deux ans après le début du conflit, le président de la fédération de Russie a aussi, bien malgré lui, poussé l'Europe à resserrer ses liens. Le processus d'adhésion à l'Union européenne (UE) s'est accéléré fin 2023. Alors que la dernière entrée dans l'UE datait de 2013 avec l'adhésion de la Croatie, pas moins de neuf pays (dont l'Ukraine) sont désormais candidats. Cet essor des candidatures relève certes d'ambitions géostratégiques, mais est aussi la résultante du soft power de l'Union européenne.

Théorisé par le politologue américain Joseph Nye dans son livre Bound to lead (1990, non traduit en France), le soft power est défini par « l'habileté à séduire et à attirer ». Ce concept géopolitique est à opposer au hard power, qui représente la capacité à imposer sa volonté de manière coercitive. En ayant par exemple recours à des moyens militaires ou des sanctions économiques. Le soft power, lui, repose sur des stratégies d'influence relevant de nombreux domaines comme la diplomatie, les performances économiques ou encore la culture. Dans cette visée géopolitique, le livre participe pleinement à l'attractivité et à l'influence des États. Plus encore, « le livre contribue à modeler des valeurs communes et une identité européenne », a rappelé Normunds Popens, directeur général adjoint pour l'éducation, la jeunesse, le sport et la culture à Commission européenne, en préambule de la remise du prix de littérature de l'Union européenne lors de la Foire du livre de Bruxelles 2024. L'UE a d'ailleurs été invitée d'honneur de la manifestation belge. Laquelle a proposé une programmation politique assumée. « Profitons de ces moments pour inscrire le livre, cet objet de démocratie, au cœur des futures préoccupations de l'Union européenne », affirmait sur place le commissaire général Gregory Laurent.

Signal politique

Signe d'une volonté de faire rayonner la littérature par-delà les frontières, le Parlement européen a adopté en juillet dernier une résolution très politique sur le futur de l'industrie du livre en Europe. Soumise par le rapporteur polonais Tomasz Frankow-ski, cette résolution rappelle en préambule que « l'une des premières choses que les agresseurs ordonnent en temps de guerre, comme en Ukraine, est de brûler les livres qui s'opposent à leur idéologie. Seule une société instruite est capable de faire entendre sa voix pour protéger sa culture. » Elle émet ensuite un certain nombre de recommandations, comme la nécessité de proposer des livres accessibles à tous et toutes, l'expérimentation du programme du « premier livre », qui offre un livre et une carte de bibliothèque aux enfants, ou encore l'amélioration de l'écoresponsabilité de la chaîne, et l'instauration d'une TVA à taux zéro pour le livre.

Mais, au-delà des mots et des ambitions (géo)politiques, l'Union européenne en fait-elle assez pour le livre ? Rappelons déjà que la culture ne relève pas des prérogatives de l'UE. La question du livre est ainsi dispersée au sein de nombreux domaines politiques. « L'Europe a une grande influence sur le cadre juridique du livre, comme avec la protection du droit d'auteur, qui relève de ses compétences sur le marché intérieur », souligne Catherine Blache, responsable des relations institutionnelles internationales du Syndicat national de l'édition (SNE) et membre du conseil d'administration de la Fédération des éditeurs européens (FEE-FEP). Elle rappelle également « la compétence exclusive de l'Union européenne en matière de concurrence », à travers laquelle l'UE s'est notamment opposée à la fusion d'Hachette et Editis l'année passée.

Si l'Europe peut avoir un poids politique sur le livre, la Fédération des éditeurs européens regrettait en 2021 « l'absence d'une véritable politique du livre au niveau européen » et proposait une série de vingt mesures. Trois ans plus tard, peu d'entre elles ont été mises en œuvre. « L'Europe pourrait être davantage à l'écoute de certaines demandes », concède Catherine Blache. Délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), Guillaume Husson partage cet avis. « L'Europe porte surtout des actions culturelles. Comme les politiques culturelles relèvent des États membres, l'Europe en fait peu pour le livre et la librairie, déclare-t-il, tout en reconnaissant un cadre européen protecteur comme, par exemple, sur le dossier des concentrations. Pour autant, même sans politique européenne du livre, les règlements et lois de l'Union ont un impact sur le livre et la librairie », nuance-t-il, en faisant notamment référence au règlement sur les délais de paiement. Si cette proposition de texte concerne toutes les entreprises européennes, elle provoque une levée de boucliers de la chaîne du livre.

Complexité technocratique

De manière générale, il peut être complexe de relever, au sein des textes européens, ce qui a un impact direct sur la chaîne du livre. « Même pour la Fédération des libraires européens et internationaux, il est très difficile de suivre tous les textes européens tellement il en existe, ou même de repérer ce qui concerne le livre, qui n'est généralement jamais cité », commente Guillaume Husson.

Faudrait-il alors que l'Europe s'empare davantage du sujet avec une réelle politique culturelle ? Surtout pas, estiment Guillaume Husson et Anne Martelle, directrice générale de la librairie qui porte son nom à Amiens et présidente du Syndicat de la librairie française (SLF). « Les situations professionnelles sont très différentes d'un pays à l'autre. Prenons le prix unique du livre. Il n'est pas forcément possible de copier ce qui existe en France, et est envié à l'échelle européenne. Si le prix unique relève demain de la politique libérale de l'Europe, nous courons à la catastrophe. »

« La culture est un domaine très spécifique et nous avons, en France, un bon soutien dans ce secteur », abonde Catherine Blache. La responsable des relations institutionnelles internationales du SNE constate toutefois que les spécificités du livre sont « souvent mal connues » des institutions européennes. Alors, les associations européennes du livre œuvrent souvent à faire découvrir cette réalité professionnelle. Et en profitent pour faire du lobbying à travers, notamment, l'EIBF et la FEE-FEP. « Par le biais de l'EIBF, nous rencontrons des députés européens pour leur parler de certains sujets », affirme Anne Martelle. Alors que les citoyennes et citoyennes sont appelées aux urnes en juin prochain pour élire les députés du Parlement européen, espérons que la voix du livre portera et sera mieux entendue dans les couloirs des institutions européennes.

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